Annotations de Henri Glaréan, Johannes Rhellicanus et Jean Rosset sur les Commentaires de César
Traduction (Français)
1/ Extrait des Annotationes d’Henri Glaréan sur la langue gauloise
Glaréan, In C. Iulii Caesaris Rom. imperatoris commentarios de bello Gallico ac civili [...] Annotationes, nunc ab autore diligenter revisae et auctae, Fribourg-en-Brisgau, Graf, 1544, p. 17-22.
Tous ces peuples [diffèrent entre eux] par le langage, les coutumes.
Pour beaucoup de raisons, on pense que la langue des Gaulois est celle que les habitants du Rhin utilisent aujourd’hui, en particulier les Helvètes et les Séquanes rhénans. Tout d’abord, en effet, on sait que lors de la guerre des Gaules, César parlait avec les Gaulois par l’intermédiaire d’un interprète. Ensuite, nul ne doute que la langue aujourd’hui en usage en France, même si elle a été corrompue, est la langue romaine, qui contient encore un très grand nombre de mots de l’ancienne langue gauloise. Autrefois, les Gaulois ne parlaient donc pas le français, mais une autre langue. Ils parlaient très vraisemblablement la langue dont se servent encore les Gaulois qui ne parlent pas le français, c’est-à-dire tous les peuples situés en deçà du Rhin, mais qui en sont tout proches: les Helvètes, les Rauraques, les Séquanes, les Alsaciens, les Triboques, les Vangions et presque toute la Belgique. Et l’on ne peut s’en étonner, si l’on considère que le peuple romain a fréquemment stationné ses troupes en Gaule, surtout dans la partie la plus fertile de Gaule, et que la partie habitée maintenant par les Français a subi plus longtemps le joug romain. En effet, la région du Rhin et la Germanie se sont détachées des Romains plus rapidement que le reste de la Gaule. C’est la raison pour laquelle les Romains n’ont pas pu promouvoir et propager leur langue en Germanie et dans les régions du Rhin, comme ils l’ont fait dans le reste de la Gaule, en Espagne et en Italie. Et il ne faut pas négliger le fait que les préteurs romains rendaient la justice uniquement dans leur langue et que les soldats romains éprouvaient des difficultés à s’adresser aux gens du peuple dans une autre langue que la leur. C’est pourquoi ces pauvres gens ont été contraints d’apprendre le latin, mais ils l’apprenaient mal, l’estropiaient, au point qu’on y trouve partout des traces de l’ancienne langue, mais qu’on entend le son du latin dans les thèmes, certains accents de l’ancienne langue, l’intonation, la prononciation, les périphrases constituées de participes parfaits avec habui, ainsi que les articles, absents de la langue latine. Enfin, l’ancienne langue est aussi présente dans de très nombreux thèmes de noms comme ignis, pulvinar, arma, civis, lorica, galea, gladius, sepes, tunica, accipiter, pelvis, pastillus, scamnum, cancer, caper, campana, mamilla, vexillum, calcar, dives, thorax, manipulus; et dans des thèmes de verbes comme dimitto, frico, occido, careo, lacero. Mais on me prendrait pour un fieffé imbécile, si je voulais traiter ce sujet en entier, alors que cela réclamerait tout un ouvrage. Quand je vivais à Paris, il y a quelques années, j’avais pour camarade Jaspar Alpheus Sylvanus, un homme au jugement remarquable et à l’érudition peu commune; il me montrait sur un papier presque deux cents mots de notre ancienne langue qu’il avait notés et que les Parisiens conservaient encore dans leur langue estropiée. Il est donc assez évident que la langue des Helvètes et des habitants du Rhin était vraiment le gaulois, si ce n’est que les Germains y ont mêlé quelques mots, surtout en aval de Strasbourg. En effet, à Spire, à Worms, à Mayence et chez les peuples installés autour de cette partie du Rhin, la langue est un mélange de germanique et de celte. Car ils ne parlent ni un germain pur, ni un celte pur. En revanche, les Helvètes, les Rauraques, les Séquanes les plus proches du Rhin, les Brisgoviens et les Alsaciens parlent en grande partie un celte pur. Il n’est donc pas étonnant que l’écrit que saint Jérôme a laissé, selon lequel les Galates, auxquels saint Paul a écrit et qui descendaient des Celtes, comme l’atteste Tite-Live au livre 8 de la quatrième décade, parlaient à son époque la même langue que les Trévires. Or, qui ignore que la langue des Trévires est ancienne et n’est guère différente de celle des Germains? Même s’il faut admettre ce que Strabon dit au livre 7, à savoir que le mot Germanie est un mot romain, pour quelle autre raison croyons-nous que les Romains les ont appelés Germains, si ce n’est parce qu’ils avaient beaucoup de points communs avec les Gaulois du point de vue de la langue et des mœurs? Ou bien, comme certains le suggèrent ingénieusement, parce qu’ils s’appelaient ainsi entre eux? Car à notre époque encore ils s’appellent frères, que ce soit dans des circonstances sérieuses ou en temps de guerre. Ce détail sur les Germains, les Romains l’ont-ils découvert par eux-mêmes ou l’ont-ils appris des Gaulois? Aucune idée, et ce n’est pas mon affaire. Je traite ici des langues des Gaulois, qui, comme le dit César, présentaient des différences entre elles, comme c’est encore le cas aujourd’hui. En effet, les Celtes mettent toujours un s là où les Belges mettent un t, comme dans Wasser et Watter, Gross et Grott, dass et dat. Concernant la langue des Aquitains, je ne sais pas si elle est conforme au celte et au belge ou si elle s’en distingue. Mais à mon avis elle a totalement disparu, alors que beaucoup de peuples conservent encore le celte, et beaucoup le belge. Le celte, comme nous l’avons dit, est parlé par les Helvètes et les peuples les plus proches du Rhin et situés près d’eux. Le belge est parlé par les Belges des bords du Rhin et de la Mer du Nord, par tous ceux qui se trouve en aval de Cologne, par les Clévois, les Gueldrois, les Brabançons, les Flamands, les Juliersiens, les Hollandais, les Zélandais et, en Allemagne, par les Westphaliens et une partie des Saxons. Pourtant, rien n’empêche de donner un seul et même nom à cette langue, bien qu’elle ne soit pas partout la même, mais varie quelque peu, ce qui arrive aussi en grec. De plus, un autre argument important pour affirmer que la langue des Helvètes est vraiment le gaulois, c’est le fait que les auteurs latins énumèrent beaucoup de mots gaulois qui se trouvent encore maintenant dans la langue des Helvètes, bien qu’ils aient été en partie mal écrits, en partie mal compris par les écrivains romains, étant donné qu’ils ne se préoccupaient pas beaucoup des mots barbares et les énuméraient seulement en passant dans leurs œuvres. Ces mots constituent néanmoins pour moi la preuve qu’ils avaient une certaine estime pour la langue gauloise. C’est ainsi que César a déformé de manière étonnante les noms propres des Gaulois et surtout des Helvètes, omettant et changeant souvent quelques lettres pour les adapter à la déclinaison latine; nous y reviendrons un peu plus loin. Pline, qui était un Gaulois né précisément en Gaule Cisalpine, comme disent les Romains, a fait de même; il n’y a aucun doute qu’il connaissait notre langue et la tenait en haute estime, puisqu’il a voulu l’insérer si souvent dans son fameux ouvrage sur la nature. Les mots qu’on lit chez lui ont pourtant été plus corrompus encore par l’injure du temps, car personne ne se soucie de cette langue depuis mille ans. Ainsi, au livre 18, chapitre 18, il a correctement nommé pflügrat les charrues munies de petites roues, une invention gauloise. Pourtant, là où certains livres ont plummarat, d’autres ont planarat. Certains l’ont remplacé par planetas et montrent ainsi qu’ils sont totalement incompétents. Le même auteur, au livre 3, chapitre 16, dit que le Pô en gaulois est appelé Bodincus par les Ligures, ce qui signifie «sans fond», et qu’il y a une ville du nom de Bodincomagum dans la même région. Les Helvètes l’appellent Bodenmangel dans leur langue. De même, le Pô a reçu ce nom de l’épicéa, que les Gaulois appellent ainsi; ce mot veut dire Paech (poix), qui subsiste encore dans notre langue. Ainsi, chez Suétone, dans la vie de Galba, «très gras» se dit galb en gaulois, mais c’est plutôt le «veau». Car pour plaisanter, nous appelons «veau» une personne très grosse et obèse. Et à notre époque, les Belges ont encore dans leur langue Beco, le bec de coq, qu’on trouve chez le même auteur, dans la vie de Vitellius. Les Helvètes en tirent le mot becken, c’est-à-dire becqueter. Le sieur Aegidius Tschudi, homme très illustre chez les Helvètes, auquel je suis lié non seulement par la parenté, mais aussi par un même amour des études, énumère un grand nombre de cas similaires dans son livre sur l’antiquité de la Rhétie et la région des peuples alpins, où il traite avec beaucoup de mérite de nombreux passages de Strabon, de Pline, de Tite-Live et d’autres écrivains classiques. Nous ferons souvent appel à son témoignage dans ces annotations, et ce non sans raison; car il traite de choses vues et évaluées avec un très grand discernement, trouvées après un travail acharné, dont nous savons que personne n’a traité depuis mille ans. À cela s’ajoute que Pline dit que les Gaulois appellent la moelle Marga et que les Germains appellent l’oie Ganza, deux mots qui existent toujours dans les deux langues. La langue actuelle des Français provient de deux langues, l’ancien celte et le latin. Cependant, le latin domine en ce qui concerne les thèmes.
2/ Extrait des Annotationes de Johannes Rhellicanus sur le pagus Tigurinus et Zurich
Rhellicanus, In C. Iulii Caesaris dictatoris viri disertissimi, et Auli Hirtii, seu Oppii, Commentaria de bello Gallico, civili Pompeiano, Alexandrino, Africano et Hispaniensi, Annotationes [...], Bâle, Curio, 1543, p. 36-42, 56.
C’était le pagus appelé Tigurinus.)
César semble appeler pagus ce que les peuples d’Italie et de Gaule appellent cantho (canton), un mot peu latin, chaque fois qu’ils mentionnent les pagi des Helvètes; c’est une métaphore tirée des canthi, c’est-à-dire des pourtours ou des bords en fer des roues. Mais pourquoi dit-on pagus dans le sens utilisé ici par César? À la suite de Sextus Pompeius Festus, le sieur Glaréan, gloire éternelle de notre pays helvète, l’explique clairement dans ces vers:
Les Grecs appelaient πηγήν et les Latins peut-être pagus
Tous les labours proches d’un fleuve,
Ainsi que les fermes, les villages et les maisons situés à proximité.
En effet, je ne crois pas pouvoir dire pagus pour désigner un vicus:
Les écrits nous enseignent autre chose et l’ennemi nous sert de témoin.
Tels sont ses mots. En outre, comme la plupart des commentateurs des antiquités gauloises pensent que le pagus Tigurinus est la région des Helvètes qui comprend la ville de Zurich et son territoire, et que Rhenanus est le seul à avoir assigné un autre séjour aux anciens Tigurins, j’examinerai d’abord ses arguments et ensuite, afin qu’on ne puisse pas me taxer de fils ingrat, j’ajouterai, pour faire honneur à ma patrie, ce qui semble contribuer à sa renommée, à savoir l’origine, le développement et le régime de la république actuelle. Donc, avec tout le respect dû à cet homme éminent, que j’admire en tous points pour son érudition et sa piété, je dirai le fond de ma pensée: ses arguments (du moins ceux dont j’ai pu prendre connaissance) ne me paraissent pas valables. En effet, il pense d’abord que le séjour des anciens Tigurins se trouvait là où les Uranais habitent maintenant et que c’est pour cela que le pagus est encore appelé Uri, comme si le mot Tiguri avait été estropié. Cela peut être réfuté pour deux raisons. Premièrement, ceux qui recherchent l’étymologie des mots, quels qu’ils soient, la plupart du temps trompent et sont trompés, surtout par les mots antiques restés longtemps en usage et par les changements historiques et humains. Deuxièmement, la situation même du pagus Urianus témoigne que jamais une nation aussi peuplée que celle des Tigurins n’a habité là, comme il apparaît d’après les circonstances. En effet, César écrit peu après que, du temps de leurs pères, les Tigurins avaient tué le consul L. Cassius et fait passer son armée sous le joug. Il devait donc s’agir d’une troupe d’hommes non négligeable, puisqu’elle a infligé une défaite aussi retentissante à une armée consulaire. Une telle multitude n’aurait pas trouvé de lieu habitable dans des espaces aussi étroits (comme on le dit de ceux des Uranais). Sans parler du fait qu’à cette époque, vraisemblablement, l’endroit était entièrement désert ou accueillait tout au plus quelques bergers, ou bien des brigands sévissant sur les routes alpines. Les annales des Helvètes permettent d’étayer cette conjecture: elles rapportent que les Uranais tirent leur origine des Huns, qui se sont installés là lorsque les Goths, les Huns et les Vandales ont envahi l’Italie, et qu’à cet endroit ils ont commencé à cultiver cette terre inculte et boisée. Sur ce point sont également valables les témoignages de César, d’une part, qui dit avoir renvoyé les Helvètes vaincus chez eux en raison de la qualité de leurs terres, et de Strabon, d’autre part, qui dans son livre 7 raconte qu’ils habitaient dans des plaines, et non dans des régions montagneuses. Ainsi donc, comme la région d’Uri est montagneuse et, à part les pâturages pour les bœufs, ne comporte ni blé ni vignes, j’ai peine à croire qu’un pagus helvète aussi illustre se soit trouvé dans une région si stérile. Ensuite, l’argument selon lequel les Tigurins auraient habité dans la région d’Uri parce qu’ils auraient été chassés de leurs foyers et auraient cherché de nouvelles terres en rejoignant les Cimbres n’est pas suffisamment solide. En effet, Strabon, dans son livre 7, écrit que les Tigurins et les Tugins (ce mot doit être lu ainsi, à mon avis, n’ont été sollicités par les Cimbres que pour une alliance militaire. Non seulement lui, mais aussi Eutrope et Orose, rapportent que les Tigurins et les Ambrons ont été exterminés par les Romains de ce côté des Alpes. On peut en tirer deux conclusions: la première, qu’il est vraisemblable que certains Tigurins se soient joints volontairement aux Cimbres qui les sollicitaient, sans avoir été chassés de leurs foyers, car Strabon dit que parmi les Helvètes, les Cimbres se sont surtout tournés vers les Tigurins et les Tugins; la seconde, qu’ils n’ont pas cherché de nouveaux séjours par la suite, puisque ceux qui s’étaient joints aux Cimbres avaient tous péri jusqu’au dernier.
Mais, diras-tu maintenant, préfères-tu donc l’opinion des autres, qui pensent que les séjours des anciens Tigurins étaient là où est maintenant le territoire de Zurich, qui est aussi le pagus qui occupe encore maintenant le premier rang parmi les Helvètes? Absolument. En effet, que l’on considère l’étymologie du nom, la situation du lieu et de toute la région et les anciens monuments de la ville, nous ne manquons pas d’arguments plausibles. Car en premier lieu, deux parties de la grande ville tirent leur nom du pagus, à savoir le pagus supérieur et inférieur, en allemand uff dorff, inn nider dorff. Mais si un connaisseur de l’histoire des Tigurins soutient que la ville semble plus récente qu’elle ne l’était à l’époque de Jules César, je ne désapprouverai pas complètement son avis. En effet, il y a un village un peu en aval de Zurich, une ancienne ville dont le nom en allemand est Altstetten; près de là, à gauche en allant vers les montagnes, à environ un demi-mille, il y a un autre village nommé Urdorf, dont la signification se rapproche de la dénomination latine Tigurinus pagus; c’est comme dire Tigurdorf, avec le mot tronqué au début. Donc, si quelqu’un est d’avis que le pagus Tigurinus se trouvait ailleurs qu’à l’emplacement actuel de la ville de Zurich, j’aurais tendance à croire qu’il était situé aux endroits que je viens de mentionner, plutôt que chez les Uranais. En effet, Urdorf n’est pas loin des Thermes des Helvètes (Baden), où se trouvait le municipe des anciens Helvètes (selon Rhenanus). En plus d’autres vestiges antiques, on y voit les ruines d’un immense château avec une voûte, que les gens de notre époque appellent la cave des païens (en allemand den heiden Keller). Il est donc vraisemblable que les Alamans, comme à Vindonissa, ont détruit ces bâtiments, et que les nouveaux habitants ont fait dériver pagus Tigurinus du sens qu’il avait à l’origine en gaulois ou en latin, et l’ont germanisé, tout comme cela s’est produit à Vindonissa et à Augusta Raurica. Quoi qu’il en soit de ces conjectures, je n’ai pas de doute sur le fait que le pagus Tigurinus était situé dans la région où se trouve actuellement le territoire et la ville de Zurich. Et de fait, la nomenclature allemande n’est pas très différente du mot latin. Que ce pagus soit appelé en latin Thuregum, Thuricum ou pagus Tigurinus, assurément le mot Zurich se réfère d’une manière ou d’une autre à ces noms; c’est comme dire Thurich ou Tigurich. Car si notre cher Glaréan appelle la ville Tigurum, il semble l’avoir fait à cause de la terminaison analogue de ces villes et pour une raison métrique, plutôt que parce qu’il a suivi l’autorité d’un écrivain latin. En effet, il est probable que la ville et le peuple ont reçu le même nom, comme dans le cas des Parisiens et des Messins, de sorte que si quelque chose se produisait dans la ville, on pouvait dire que cela s’était passé chez les Tigurins, comme on pourrait le dire pour les Parisiens et les Messins. Ensuite, si l’on considère la situation, la commodité et l’agrément du territoire de Zurich, on peut affirmer que cet emplacement n’était pas indigne des anciens Tigurins. Car en plus du fait qu’il est fertile en céréales, en pâturages, en blé, en vignes et en fruits très doux, il a quatre lacs très poissonneux: le lac de Zurich, le Greifensee, le Pfäffikersee et le Katzensee. Le lac de Zurich est à la fois le plus grand et le plus pratique de tous à cause des marchandises qui sont importées de la région milanaise, de Schwytz, d’Uri et de Glaris et qui sont exportées en retour de Zurich. La rivière de la Limmat (que le lac déverse dans les passages étroits de la ville et qui la coupe en son milieu) contribue beaucoup à cet aspect pratique. C’est en effet de là que les céréales, le vin et les autres marchandises peuvent être chargés directement sur les navires. De plus, grâce au lac et à la rivière, les citoyens de Zurich peuvent très facilement se procurer du bois et des matériaux. Le ruisseau de la Sihl, qui prend sa source dans les montagnes près de la Kleine Stadt et se jette dans la Limmat, n’y est pas pour rien: lors de la fonte des neiges en montagne, au printemps et à l’automne, il déborde et apporte à ces mêmes citoyens une grande quantité de matériaux et de bois de toutes sortes. Si ces fontes annuelles n’avaient pas lieu, les Zurichois souffriraient d’une grande pénurie de ces deux ressources. Sans parler du fait que la très limpide Limmat, enjambée par deux ponts dans la ville et équipée de deux immenses roues pour l’irrigation, outre un usage varié de l’eau et les meilleurs poissons de lac, offre un merveilleux spectacle et des lieux de promenade très agréables. Et non seulement cette rivière, mais aussi un espace planté d’innombrables tilleuls et situé sur un endroit élevé de la Kleine Stadt, donnent lieu à toutes sortes de jeux. Car ici, on rivalise au disque, à la course, à la lutte et à l’arc; et l’on danse lors des mariages. Le même agrément se présente à ceux qui sortent des deux Zurich, la Grosse Stadt et la Kleine Stadt. Devant la ville, en effet, il y a un fossé très profond et très long dans lequel les cerfs paissent et s’ébattent; sur son flanc, il y a un endroit très agréable pour se promener, que l’on observe les divers arbres qu’on y trouve ou les vignobles et les collines boisées de la région. Devant, le fossé n’est pas rempli de bêtes apprivoisées, mais d’eau et de poissons, et l’endroit est également approprié pour se promener et profiter de la vue. Car ici s’ébattent les carpes et autres poissons; en face, on peut voir des prairies verdoyantes et, en arrière-plan, le lac de Zurich. En outre, deux autres tilleuls sont plantés hors de la ville dans la zone de tir des bombardes; ils sont courbés et arrangés de manière étonnante et artistique, si bien qu’en été, pendant quelques mois, on peut s’attabler sur eux et dîner en étant si bien abrités que leurs branches nouées et entrelacées au sommet peuvent protéger de la chaleur excessive du soleil.
Enfin, pour que nul ne pense que je traite le sujet en recourant à des arguments conjecturaux, apportons les témoignages des chroniques de la ville de Zurich. C’est ainsi que Louis, surnommé le Pieux, dans la dotation du monastère du Fraumünster dans la Kleine Stadt, appelle Thuregum sa cour (car c’est ainsi que les greffiers de l’époque appelaient par erreur une grande propriété ou un château, comme on peut le voir dans d’autres diplômes similaires) et le pagus de Zurich, situé dans le duché d’Alémanie, avec tous les territoires adjacents et qui lui appartiennent. Cela fut fait environ 814 ans après la naissance du Christ. De nouveau, dans un autre document officiel de confirmation de donation, il est dit que le monastère du Fraumünster a été construit par Charles dans la région du Zürichgau; ce document est daté du 26 février, l’année de l’incarnation du Seigneur 883, en la première indiction, l’année du règne du très pieux empereur Charles III. Cela a été fait à la cour impériale d’Ulm au nom de Dieu, amen. De plus, d’après la chronologie, il est permis de conclure que ce Charles était celui qu’on a surnommé le Gros; car il a commencé à régner en l’an du Seigneur 877. Et bien que je ne doute pas que ces témoignages auront assez de force auprès d’un lecteur pieux, juste et bienveillant pour le persuader que le pagus Tigurinus était autrefois là où se trouve maintenant la ville et le territoire de Zurich, cependant, pour plus de sûreté et de transparence, il ne nous déplaira pas d’en ajouter davantage.
[Suivent plusieurs pages consacrées à l’histoire de Zurich (nous reprenons les titres donnés par Rhellicanus):
«La fondation de la ville de Zurich» (p. 42-43)
«Administration et magistratures anciennes de la ville de Zurich» (p. 43-45)
«Raisons pour lesquelles Zurich a rejoint la Confédération» (p. 45-47)
«Document délimitant la zone dans laquelle la monnaie de notre Fraumünster doit être acceptée» (p. 48-51)
«Les deux monastères de la ville de Zurich» (p. 51-52)
«Exposé plus développé et plus clair sur le Grossmünster et le collège des chanoines en particulier» (p. 52-56)]
– Mais toi, hélas, dirait quelqu’un, as-tu oublié ton propos, Rhellicanus, au point d’écrire, non les annotations promises, mais de l’histoire ou un éloge, et de traiter de sujets inopportuns? – Pas de paroles imprudentes, je te prie. Car ni mon amour pour ma patrie ni l’ardeur de ma plume ne m’ont fait dériver ainsi: je me souviens parfaitement de mon propos. Et de fait, puisqu’on en est venu à la question de savoir où le pagus Tigurinus (que César mentionne) était situé chez les Helvètes, pour ma part je soutiendrai que c’était en territoire zurichois; il m’a fallu plusieurs conjectures, arguments et circonstances concrètes pour le démontrer. De ce fait, le lecteur bienveillant et bien disposé me pardonnera si j’ai outrepassé les limites de l’annotation et que je me suis mis à écrire des commentaires. Car (si je ne m’abuse) l’argument onomastique, les récits historiques anciens, la situation géographique et l’étendue de la juridiction prouvent que ce même territoire zurichois était appelé pagus Tigurinus à l’époque de Jules César. Donc, comme nous avons fait cette démonstration en utilisant le plus grand nombre d’arguments possible, il convient désormais qu’après cette très longue digression, nous revenions à notre propos.
3/ Extraits du Libellus variarum lectionum de Jean Rosset
Iulii Caesaris Commentarii, post omnes omnium editiones accurata sedulitate et summa denuo vigilantia ex multorum tam veterum, quam neotericorum exemplarium collatione emendati et studiosissime recogniti a Ioanne Rosseto Aurimontano. Hisce, cum locorum, urbium et populorum nominibus et expositionibus, ac item rerum et verborum copiosissimo indice, accessit variarum lectionum libellus perquam utilis, eodem Rosseto collectore, Lausanne, Le Preux, 1571, fol. Mm i ro-vo.
Jean Rosset salue son lecteur.
Pour que tu puisses aisément, ami lecteur, examiner les passages ambigus et les variantes, j’ai placé dans l’ordre toutes les variantes, qui ont été signalées tant dans la marge par des numéros que dans le texte par un seul astérisque. Le premier numéro renvoie à l’indication des variantes, le deuxième à la page, le troisième à la ligne. Ensuite, pour que tu saches quels auteurs donnent telle ou telle leçon et de quel auteur proviennent les leçons:
A désignera le livre d’Alde.
B celui de Michele Bruto.
C celui de Carrare, qui est écrit à la main et est très ancien.
F le livre imprimé il y a 60 ans à Florence.
G celui de Gryphe en tout petit format, qui a été imprimé à Lyon.
P celui de Paris de Robert Estienne.
R le vieux livre imprimé à Rome en 1472.
V le livre imprimé par Antoine Vincent à Lyon en 1557.
Quand l’astérisque est indiqué à la fin, tu sauras qu’il faut examiner soigneusement le passage et ne pas le laisser négligemment de côté.
Dans le premier livre.
[César, Guerre des Gaules 1,2,3 (trad. L.-A. Constans, Paris, Les Belles Lettres, 1941): «Il eut d’autant moins de peine à les convaincre * que les Helvètes, en raison des conditions géographiques, sont de toutes parts enfermés: d’un côté par le Rhin, dont le cours très large et très profond sépare l’Helvétie de la Germanie, d’un autre par le Jura, chaîne très haute qui se dresse entre les Helvètes et les Séquanes, et du troisième * par le lac Léman et le Rhône, qui sépare notre province de leur territoire.»]
1. Pag. 1. vers. 30 Quod undique loci natura tuti Helvetii continentur. Le mot tuti ne figure pas dans les livres du Vatican, de Bruto et de Manuce. À la place de continentur, Ottavio Pantagato lisait contineantur. V et R ont continerentur et le mot tuti.
2. [1.] 33. Lacu Lemano. Lemanno s’écrit avec deux n dans l’exemplaire du Vatican et dans B, et la vieille édition vaticane de Pline confirme cette orthographe.
[…]
[César, Guerre des Gaules 1,12,1 (trad. L.-A. Constans, Paris, Les Belles Lettres, 1941): «Il y a une rivière, la Saône, qui va se jeter dans le Rhône en passant par les territoires des Héduens et des Séquanes; son cours est d’une incroyable * lenteur, au point que l’œil ne peut juger du sens du courant.»]
[5.] [4.] 23. Incredibili lenitate. D’une incroyable lenteur. Ainsi Lucrèce, au livre 4: Quod superest, ubi tam volucri haec lenitate feruntur («Du reste, lorsque ces simulacres sont emportés par une si prompte lenteur»). Rien ne semble moins convenir à la Saône que la lenteur, mais il peut arriver parfois, à cause d’une lenteur excessive, que la vue soit trompée. C.*
[…]
[César, Guerre des Gaules 1,47,4 (trad. L.-A. Constans, Paris, Les Belles Lettres, 1941, modifiée): «Il pensa que le mieux c’était d’envoyer C. Valérius Procillus, fils de C. Valérius Caburus, jeune homme plein de courage et fort cultivé, dont le père avait reçu de C. Valérius Flaccus la cité romaine: il était loyal, il parlait le gaulois, qu’une pratique déjà longue avait rendu familier à Arioviste, enfin les Germains n’avaient pas de raison d’attenter à sa personne; il lui adjoignit M. * Titius, que l’hospitalité liait à Arioviste.»]
32. [16.] 35. M. Titium. R a Marium. Les livres anciens ont Mettium; et sur une pièce d’argent de César (comme le dit Bruto), il y a M. METTIN.
[…]
Dans le deuxième livre.
[César, Guerre des Gaules 2,7,1 (trad. L.-A. Constans, Paris, Les Belles Lettres, 1941): «En pleine nuit, César, utilisant comme guides ceux même qui avaient porté le message d’Iccios, envoie au secours des assiégés des Numides, des archers crétois * et des frondeurs baléares.»]
39. 21. 4. Baleares. Il faut écrire Baliares sur la foi d’une ancienne inscription; de la même manière, chez les Grecs, on écrit Baliarides, fait remarquer Bruto. D’où le surnom de Metellus, Baliaricus, comme sur cette même inscription.*