Henri Glaréan
Œuvres
- Seconde lettre de consolation à Aegidius Tschudi
- Élégie à un élève
- Lettre à Peter Gölin: résumé de sa vie et déclaration d’amitié
- Lettre à Oswald Myconius: difficultés financières ; ennuis causés par ses élèves; Myconius et sa femme
- Le martyre des saints Félix, Regula et Exuperantius
- De Geographia et De arithmetica: épîtres dédicatoires et préface
- De Geographia: De ventis, De regionibus extra Ptolemaeum
- Annotations aux douze livres de Quinte-Curce
- Préfaces au commentaire à Tite-Live et à la Chronologie
- Élégie à Érasme de Rotterdam
- Poème sur la fondation de l'ordre des chartreux
- Poème à Johann Hartung
- Autobiographie poétique
- Poème sur les ruines d’Avenches
- Ode sur saint Théodule, évêque de Sion
- Helvetiae descriptio: Introduction, Uri, Schwytz, Glaris, Conclusion
- L’épopée sur la bataille de Näfels
- Voyage dans sa patrie
- Lettre à Aegidius Tschudi: «apparition» de fantômes et Russie
- Panégyrique sur le collège Montanus de Cologne
- Helvetiae descriptio: Fribourg, avec le commentaire de Myconius
- Discours sur Suétone
- Première lettre de consolation à Aegidius Tschudi
- Lettre à Aegidius Tschudi: mariages, politique, religion et belles-lettres
- Isagoge in musicen
- Dossier: César commenté par les humanistes suisses
Auteur(s): David Amherdt (deutsche Übersetzung: Clemens Schlip). Version: 03.07.2023.
L’humanisme de Glaréan est un humanisme exemplaire. Tout entier tourné vers la diffusion des idées de l’humanisme chrétien, Glaréan, le professeur par excellence, a consacré toute sa vie à ses élèves, à l’édition et au commentaire de textes, ainsi qu’à la composition d’ouvrages destinés à ses étudiants. Si son œuvre, en particulier sa correspondance, met sous les yeux le passage d’une Suisse catholique à une Suisse divisée entre catholiques et protestants, la religion n’est pas son affaire principale, ce qui n’empêche pas qu’elle revête pour lui une importance cruciale, qui transparaît dans l’ensemble de son œuvre.
La vie de Glaréan
Heinrich Loriti, dit Glareanus (le «Glaronnais»), est né en 1488 dans le village de Mollis, dans le canton de Glaris, d’où son surnom.
De 1501 à 1507, il étudie à Rottweil auprès de Michael Rubellus (Röteli), non sans avoir peut-être passé quelque temps à Berne. À Rottweil, il étudie le latin, la poésie, la musique. Parmi ses condisciples se trouve Oswald Myconius, avec lequel il se lia d’amitié; les deux humanistes cessèrent de se fréquenter lorsque Myconius passa définitivement à la Réforme.
De 1507 à 1514, Glaréan séjourne à Cologne, où il a l’occasion d’apprendre le grec. En 1510 il devient Magister. Il continue à étudier et commence à enseigner. À cette époque, il correspond avec Zwingli, alors curé de Glaris, avec lequel il rompra également toute relation. En 1512, l’empereur Maximilien tient une diète à Cologne; Glaréan écrit un panégyrique en son honneur: l’empereur, enchanté, le nomme poeta laureatus, «poète couronné». Il s’intéresse aussi à l’histoire et à la géographie.
Il séjourne ensuite à Bâle de 1514 à 1517. Il est reçu dans la faculté des arts de l’université; il bénéficie aussi du droit d’ouvrir son propre internat. Érasme réside alors à Bâle: les deux hommes deviennent amis; l’influence du prince des humanistes sur Glaréan sera considérable. Il est plutôt en mauvais termes avec les professeurs bâlois, qui l’empêchent de donner des cours. Mais son internat a beaucoup de succès. Il publie en 1514 son Helvetiae descriptio, un éloge de la Suisse, qui reçoit un bon accueil: le Fribourgeois Peter Falck, homme politique et protecteur des humanistes, obtient pour lui une bourse pour étudier à Pavie de la part de Maximilien Sforza, le duc de Milan. Glaréan se rend à Pavie au printemps 1515, mais les difficultés politiques le contraignent à rentrer à Bâle en septembre.
De 1517 à 1522, Glaréan séjourne à Paris. Toujours grâce à Peter Falck, il obtient une bourse du roi François Ier pour Paris; il est aussi recommandé par Érasme. Il y dirige également un internat pour les étudiants suisses. On y parle latin (il n’a jamais appris le français). Il n’apprécie pas la Sorbonne et ses disputes absurdes. Ce sont, semble-t-il, des années sereines: il peut se consacrer à ses études, s’améliore en grec. Mais il a de constants problèmes d’argent. Il espère revenir en Suisse, mais rien ne semble aller dans cette direction (il avait un moment espéré obtenir de Zwingli une charge à Zurich).
Il séjourne à nouveau à Bâle de 1522 à 1529. Il y arrive en février 1522. En novembre, il épouse Ursula Offenburg, mariage heureux mais sans enfant. Grâce à son beau-père, sa situation financière s’améliore: il peut à nouveau ouvrir un internat et enseigner. Finalement, il parvient à se faire une situation à l’université, où il devient le doyen de la faculté des arts et de la philosophie. Il se tient à l’écart des querelles religieuses. Il finit par se prononcer contre la Réforme et en devient même un adversaire acharné. Bâle étant protestante, Glaréan se rend compte que sa situation est intenable. Il se rend à Fribourg-en-Brisgau en 1529.
Il est à Fribourg-en-Brisgau de 1529 à 1563. Il y travaille jusqu’à la fin de sa vie comme professeur et éducateur; en 1530 il est nommé professeur ordinaire de poétique; en même temps il dirige son internat. Il devient un personnage reconnu et important et publie de nombreux ouvrages. En 1537, il refuse de s’installer en Suisse centrale (catholique) comme professeur. Il est contre la fondation d’une université de Suisse centrale, mais y encourage l’enseignement. À travers Tschudi, il est au courant de ce qui se passe en Suisse, tant du point de vue politique que religieux. Sa femme meurt en 1539; il épouse une veuve, Barbara Speyr, dont il s’occupe des cinq enfants. Il reste en contact avec sa parenté. La fin de sa vie est marquée par divers ennuis de santé. Glaréan meurt dans la nuit du 27 au 28 mars 1563. Il est enterré dans l’église des dominicains.
L’œuvre de Glaréan
L’œuvre poétique de Glaréan
Comme bien des humanistes (Bèze, Gwalther), c’est surtout au début de sa carrière qu’il s’adonne à la poésie. La plus grande partie de ce que l’on connaît de sa poésie nous est conservée par un manuscrit latin de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich qui appartenait à un ancien élève de Glaréan et est probablement de la main de ce personnage. Glaréan n’a lui-même fait publier qu’une petite partie de ses poèmes: son panégyrique en l’honneur de l’empereur Maximilien Ier (1512 et 1514); sa Descriptio de situ Helvetiae (notamment 1514 et 1519); ses deux livres d’élégies (1516); un poème sur la musique, qui paraît dans l’Isagoge (1516, fol. E3ro) et dans le Dodekachordon (1547, p. 470), mais qui a déjà paru en 1511 dans le Tetrachordum Musices Joannis Coclei Norici de Johannes Cochlaeus, ce poème étant ainsi l’un des premiers, sinon le premier, poèmes connus de notre auteur; un bref poème d’éloge à Johannes Hartung que celui-ci publiera dans ses Decuria locorum quorundam memorabilium. Plusieurs de ses poèmes ont été publiés après sa mort, surtout dans la première partie du XXe siècle.
L’ensemble de la production poétique de Glaréan, qui va du poème de circonstances au panégyrique, en passant par l’ode et l’autobiographie, est pétri de motifs antiques et participe à son effort pour former ses jeunes lecteurs dans les belles lettres. La présence de figures exemplaires de l’Antiquité y est constante. Enfin, le souci pour la piété du lecteur traverse toute son œuvre poétique, qui comporte d’ailleurs un grand nombre de pièces sur des sujets religieux.
Il n’est pas aisé d’établir une classification de ces poèmes. Sans prétendre à l’exhaustivité et tout en étant conscient du caractère réducteur de toute distribution en catégories ou mêmes genres littéraires, nous pouvons dire ce qui suit.
On trouve un certain nombre de poèmes patriotiques, dont le but est de chanter la grandeur et la beauté de l’histoire et de la géographie de l’Helvétie: l’Helvetiae descriptio (publiée en 1514), qui mêle géographie et histoire de la Suisse; le poème célébrant la victoire sur les Habsbourg à Näfels en 1388 (composé à Cologne), épopée à la gloire des Confédérés.
Glaréan a composé un grand nombre de poèmes à la gloire de (grands) personnages: le Panégyrique de l’empereur Maximilien (publié en 1512), qui lui a valu d’être couronné poeta laureatus (le panégyrique est suivi de trois strophes saphiques où Glaréan remercie l’empereur de lui avoir remis une couronne, ainsi que d’une strophe saphique où il affirme que seule la vertu permet d’atteindre le ciel, non la connaissance ou la beauté); le premier livre des Élégies publiées en 1516, qui comporte l’éloge de neuf personnalités du monde humaniste, universitaire, religieux ou politique, dont Érasme de Rotterdam, Oswald Myconius et René de Savoie (Élégies 1,1-9); une élégie, probablement composée à Cologne et adressée à un certain Jacob de Strasbourg, qui est déjà le destinataire de l’élégie 1,9; la deuxième partie de l’Autobiographie en vers (période de Fribourg-en-Brisgau), qui comporte un éloge de Charles Quint et surtout de Ferdinand de Habsbourg.
L’éloge est aussi au centre de plusieurs pièces de circonstances: le poème composé pour Peter Wenck à l’occasion de ses débuts comme recteur de l’Université de Bâle en mai 1515, où Glaréan loue le savoir du recteur; le Ad Sigismundum Pelimnum sacrae religionis presbyterum carmen, qui date probablement de la même époque, où il fait l’éloge du savoir de ce personnage, plusieurs vers de ce poème se retrouvant dans le poème pour Wenck; un poème de dix-sept vers à Johannes Hartung accompagnant probablement l’envoi du Dodecachordon en 1547; un poème de dix vers au même Hartung (période de Fribourg), où Glaréan fait un bref éloge du travail philologique de ce professeur de grec à Fribourg-en-Brisgau.
À ces poèmes d’éloges, on peut ajouter une série de poèmes moraux ou moralisants, qui contiennent aussi une part d’éloge.
C’est le cas des dix poèmes qui composent le deuxième livre de ses Élégies publiées à Bâle en 1516, adressé à des adolescents, compagnons d’études ou élèves du poète, parmi lesquels on trouve le Lucernois Ludwig Carinus. Dans ces élégies, il exhorte ces jeunes gens à vivre la vertu, en particulier la chasteté, et à avoir pour but la vie éternelle avec Dieu dans le ciel.
C’est aussi le cas d’une série de trois poèmes probablement composés à Cologne et adressés à Johannes Bedburguntinus, étudiant à Cologne en même temps que Glaréan: le premier est une élégie de 50 vers où Glaréan fait l’éloge de l’intelligence de Johannes et le met en garde contre les dangers de la vie; le second est une élégie, également de 50 vers, sous forme de dialogue, où il incite Johannes, qui s’était pris dans une querelle, à la modération et à la vertu; une strophe saphique sert de conclusion aux deux élégies.
Il en va de même pour une série de cinq poèmes, probablement composés à Cologne, adressés à un jeune ami, compagnon d’études à Cologne, «Nicolas de Thum»; ce sont des poèmes dans la veine du deuxième livre d’élégies de 1516, qui disent l’amitié de Glaréan pour Nicolas: un poème de quatorze strophes saphiques; quatre poèmes en distiques élégiaques: deux de quatre vers, un de huit et un de dix-huit.
À ces éloges de personnages, on peut ajouter l’éloge de lieux ou d’institutions. Ainsi, le Panegyricon in Montanum Gymnasium (époque de Cologne), où Glaréan fait l’éloge de ses professeurs du Gymnasium Montanum, l’un des quatre «gymnases» ou «bourses» de la Faculté des arts de Cologne; ce texte a aussi une valeur autobiographique. On trouve également, datant de l’époque de Cologne, un bref éloge, de la ville de Rottweil, où Glaréan a passé plusieurs années (In laudem Erytropolis).
L’œuvre poétique de Glaréan comporte également un bon nombre de pièces religieuses. Ils révèlent le grand intérêt du poète pour la foi et pour les figures des saints, dont témoignent aussi deux textes en prose, la Vita divi Bernardi de Monte Iovis, publiée en 1515 à Cologne chez Quentel, ainsi que le Divorum Felicis, Regulae et Exuperantii agon, qui ne sera publiée qu’en 1667. On trouve: un poème au Christ, un poème sur la fondation des chartreux par saint Bruno; un poème sur Thomas d’Aquin; un poème sur Catherine d’Alexandrie; un poème sur saint Fridolin, le patron de Glaris; un poème sur saint Théodule de Sion. Tous ces textes datent de l’époque de Cologne.
Il y a aussi des poèmes autobiographiques: son Autobiographie en 186 vers (composée entre 1529 et 1548), dont la première partie est consacrée aux diverses étapes de la carrière du poète, la deuxième consistant dans un éloge de Charles Quint et de Ferdinand Ier (voir ci-dessus); un poème de 338 vers sur un voyage dans sa patrie (1511; Cologne, Rottweil, Glaris, pèlerinage à Einsiedeln, Strasbourg, Cologne), ce texte ressortissant au genre de l’Odoeporicon ou Hodoeporicon (récit de voyage), très populaire chez les humanistes.
On mentionnera enfin de courtes pièces de circonstances, d’ordinaire de caractère épigrammatique, sur des sujets divers, culturels, moraux ou religieux: l’épitaphe de Johannes, frère de l’humaniste et mécène Peter Falck (1518); un poème funèbre à l’occasion de la mort de Johannes Froben; un poème sur la musique, publié la première fois en 1511 (voir supra); un poème de quatorze vers sur l’importance de l’histoire (probablement de la période de Cologne); un poème moral de trois vers sur la nécessité de ne pas s’attacher aux choses humaines (probablement de la période de Cologne); un poème de six vers sur les ruines d’Avenches (1515); un vers satirique contre les protestants, traduit en allemand (probablement de l’époque de Fribourg-en-Brisgau).
La correspondance de Glaréan
La correspondance de Glaréan est presque exclusivement latine. Plus de 150 lettres ont été conservées, dont la plupart ont été publiées dans des ouvrages, articles ou contributions divers. L’édition, la traduction et l’étude de l’ensemble de ses lettres seraient extrêmement utiles à la connaissance de Glaréan, ainsi qu’à l’histoire de l’humanisme et à celle de la réforme.
Parmi ses correspondants figurent plusieurs personnalités helvétiques: Ulrich Zwingli, Oswald Myconius et Joachim Vadian, avec qui il cessa toute relation en raison des conflits confessionnels; l’historien Aegidius Tschudi; le Fribourgeois Peter Falck, qui fut pour Glaréan et d’autres humanistes ou étudiants un véritable mécène. Il fut aussi en contact avec diverses personnalités du monde humaniste ou religieux européen de l’époque, tel Érasme de Rotterdam en particulier, mais aussi Johannes Reuchlin, Willibald Pirckheimer, Friedrich Nausea, Jean de Lasco.
Il s’agit d’une correspondance très vivante, où l’épistolier parle de la vie de tous les jours, de ses élèves, de ses affaires familiales, de ses œuvres, de questions littéraires, de l’actualité politique et religieuse. C’est aussi la correspondance d’un humaniste cultivé et plein d’humour, où abondent les citations d’auteurs antiques.
Manuels ou épitomés
Une partie non négligeable de l’œuvre de Glaréan est directement consacrée à la formation scolaire ou universitaire. Il a en particulier composé un grand nombre d’épitomés ou de manuels, issus de ses cours et destinés à enseigner une matière de manière simple et claire.
En 1516 déjà, alors qu’il enseigne à Bâle, Glaréan fait paraître son Isagoge in musicen, manuel d’introduction à la musique. La même année, il publie un De ratione syllabarum brevis isagoge, sur les règles de la quantité des syllabes et de la métrique latine, accompagné d’un De figuris sur les principales figures de rhétorique. Son effort pour faciliter l’apprentissage du latin apparaît aussi dans la publication, en 1526, de l’Ars minor de Donat muni d’explications de son cru et accompagné, au fil des éditions, de résumés, également de sa plume, sur divers aspects de la grammaire (De generibus nominum, De constructionis regulis et syntaxi, etc.). En 1527 paraît, à Bâle, la première édition du De Geographia; il s’agit d’un manuel présentant les diverses notions de géographie accompagnées de nombreux schémas. En 1539, Glaréan publie la première édition du De VI arithmeticae practicae speciebus epitome, consacré pour un tiers à la grammaire des nombres (adjectifs cardinaux, ordinaux, distributifs; adverbes multiplicatifs, etc.); le reste traite du calcul, des suites de nombres et des proportions, Glaréan illustrant ces notions par des exemples tirés de la littérature. En 1550, il publie le De asse, dont le but est de mettre de l’ordre dans le chaos qui règne dans la description des poids et des mesures. Enfin, en 1557, il publie, avec Johann Wonnegger, en latin et en allemand, une version abrégée du Dodekachordon (1547), son grand ouvrage sur la musique; il ne s’agit pas là à proprement parler d’un manuel, mais plutôt d’un texte universitaire s’adressant à un lectorat d’étudiants des arts libéraux.
Ouvrages sur la musique
Il a déjà été question ci-dessus de deux textes scolaires ou universitaires sur la musique, ainsi que de son grand traité sur la musique, le Dodekachordon, publié en 1547. Dans cet ouvrage, dont l’influence fut considérable, Glaréan résume la théorie musicale connue jusque-là et introduit, en précurseur, la gamme à douze tons; il vaut la peine de signaler l’existence d’un enregistrement CD de certaines compositions citées dans cette œuvre de Glaréan. On peut aussi mentionner ici le chant de louange qu’il publie à la gloire de Charles Quint en 1547; il s’agit de onze strophes en allemand, accompagnées d’une mélodie tirée d’un chant de Ludwig Senfl, ainsi que d’une traduction latine.
Éditions, commentaires et annotations
En bon humaniste, Glaréan s’intéresse aux textes de l’Antiquité, qu’il édite et commente ou, le plus souvent, annote plus ou moins abondamment. Dans les annotations sur les auteurs antiques, souvent issues de son enseignement, le souci pour la formation des étudiants, qui toutefois ne sont généralement pas le premier public de ces textes, est moins directement apparent que dans les manuels ou épitomés, même si les visées pédagogiques n’y sont jamais totalement absentes, qu’elles soient littéraires (formation dans les belles lettres) ou morales (formation dans les bonnes mœurs). Les remarques de Glaréan portent en particulier sur la critique textuelle, mais aussi, notamment, sur des questions chronologiques, prosopographiques et généalogiques, son but ultime étant toujours une meilleure compréhension des textes.
Glaréan édite et annote l’Ars minor de Donat (1526); il édite (1531) et annote (1540) Tite-Live, dont il donne une Chronologie (1531); il édite et annote la traduction latine par Lapus Biragus des Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse, dont il donne également une Chronologie (1532); il édite et annote les Carmina d’Horace (1533); il annote les Métamorphoses d’Ovide (1534), la Guerre des Gaules et la Guerre civile de César (1538), les Histoires de Salluste (1538), les comédies de Térence (1540), le De Senectute de Cicéron (1544); il participe à l’édition des Œuvres de Boèce (1546); il édite la Batrachomyomachie, qui est accompagnée d’une traduction latine de Joachim Mynsinger (1547); il édite et annote la Pharsale de Lucain (1550); il édite et annote les Faits et dits mémorables de Valère Maxime (1553); il participe à l’édition de l’Abrégé d’histoire romaine d’Eutrope et l’annote (1555); il annote la Dialectique de Johannes Caesarius (1556), œuvre datant de 1529; il édite et annote l’Histoire d’Alexandre le Grand de Quinte-Curce (1556); il annote les Douze Césars de Suétone (1560) ainsi que l’abrégé de Trogue-Pompée par Justin (1562).
La méthode d’enseignement
On peut se faire une idée précise des objectifs, de la matière et de la méthode d’enseignement de Glaréan à travers un examen détaillé des textes liminaires et du contenu de ses ouvrages philologiques, historiques, géographiques, mathématiques et musicaux, dont certains servaient de support à ses cours, qu’il donna à Bâle, Paris et Fribourg-en-Brisgau; et aussi à travers l’étude des notes prises par ses élèves à partir des annotations faites par le maître sur des ouvrages imprimés ou prises durant ses cours.
La méthode d’enseignement de Glaréan a été mise en lumière par plusieurs études, en particulier celles d’Inga Mai Groote et de son équipe, qui ont comparé les livres de la bibliothèque de Glaréan annotés par l’humaniste lui-même, avec les notes de ses étudiants dans leurs propres exemplaires. Il s’agit surtout de textes d’auteurs classiques (César, le De officiis de Cicéron, Horace, Tite-Live, Suétone) ou de la Renaissance (Valla), mais aussi de ses propres manuels d’arithmétique, de géographie et de musique, par exemple, ainsi que de sa Chronologia (1540). Ce sont d’une part des notes prises à partir des propos du professeur (notes personnelles ou notes dictées) lors de cours publics (à l’université) ou privés (dans son internat), d’autre part et surtout des copies ou transcriptions fidèles de gloses à partir d’un exemplaire préparé par Glaréan pour ses élèves.
L’étude de ces notes tend à montrer que Glaréan était un professeur passionnant, original et amusant, doté d’un grand sens pédagogique, qui tendait à se concentrer sur les principes généraux et les idées centrales, avec une certaine propension aux jugements moraux et un souci constant de faire voir l’actualité de ces textes pour l’époque présente, en tirant des parallèles entre l’Antiquité et son temps. Il profitait en outre de ses cours dans tous les domaines pour améliorer chez ses élèves la maîtrise du latin, l’étude des eximii authores restant la base de l’éducation; enfin, la piété revêtait une importance que l’on retrouve dans l’ensemble de son œuvre.
Conclusion
Celui que l’on considère comme l’un des plus grands humanistes de la Confédération helvétique était un personnage original, haut en couleur, sur qui l’on raconte une foule d’anecdotes révélant un esprit facétieux, plein d’humour, théâtral, voire bouffon. Érasme, qui en fait à deux reprises un très bel éloge, relève son esprit vif et joyeux et sa tendance à plaisanter.
La vie de Glaréan a été tout entière consacrée à l’enseignement et à l’éducation. Le Glaronnais a mis toute sa fougue et sa passion au service de la formation scientifique et morale des jeunes gens: en bon humaniste chrétien et en disciple d’Érasme, il n’a jamais toléré que le savoir soit séparé de l’honnêteté et de la vertu, et il a prêché d’exemple en menant une vie édifiante.
L’étude de sa correspondance, de son œuvre poétique et des témoignages de ses contemporains, parmi lesquels figure celui d’Érasme de Rotterdam, permet de donner de Glaréan l’image d’un savant passionné par l’Antiquité, désireux de diffuser les principes de l’humanisme chrétien auprès des jeunes étudiants, véritable praeceptor de la Suisse catholique, homme pétri d’humour, bon et bienveillant, habile communicateur et pédagogue hors pair: bref, un vir bonus dicendi et docendi peritus, pour reprendre l’expression de Caton rapportée par Quintilien.
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Nous n’avons repéré qu’un seul exemplaire de cet ouvrage (Cologne, Universitäts- und Stadtbibliothek).