L’ascension du Stockhorn

Johannes Rhellicanus

Introduction: Kevin Bovier (deutsche Übersetzung: Clemens Schlip). Version: 10.02.2023.


Date de composition: peu après l’excursion effectuée à l’été 1536 (l’épître dédicatoire donne la date du 12 août 1536 comme terminus ad quem).

Éditions et traductions: Homeri vita, ex Plutarcho in Latinum tralata per Io. Rhellicanum, Tigurinum… Item eiusdem Ioan. Rhellicani Stockhornias, Bâle, Lasius et Platter, 1537, p. 155-159, ici p. 155-157; C. Gessner, De raris et admirandis herbis, Zurich, Froschauer, 1555, p. 77-82, ici p. 79-80; Ludwig, W., «Die Stockhornias des Joannes Rhellicanus», Humanistica Lovaniensia 32, 1983, p. 219-224, ici p. 221-222; Niesen und Stockhorn. Berg-Besteigungen im 16. Jahrhundert: zwei Lateintexte von Berner Humanisten, éd. M. A. Bratschi, Thoune, Ott, 1992, p. 8-21, ici p. 12-15, avec traduction allemande; traduction française dans C. Reichler et R. Ruffieux, Le voyage en Suisse: anthologie des voyageurs français et européens de la Renaissance au XXe siècle, Paris, R. Laffont, 1998, p. 90-93.

Mètre: hexamètre dactylique.

 

À l’été 1536, le Zurichois Johannes Rhellicanus (vers 1478/1488-1542), alors professeur de grec et de philosophie à l’académie de Berne, fit une excursion sur le Stockhorn, dans le Simmental, avec les Bernois Peter Kunz (qui fut l’instigateur de la randonnée), Christian Danmatter et Johannes Endsberg. Rhellicanus en fit le récit dans un poème qu’il publia avec sa traduction du De vita Homeri du pseudo-Plutarque. Quelques années plus tard, Conrad Gessner, qui était lui aussi passionné par le milieu de la montagne, réédita le poème de Rhellicanus dans son traité botanique intitulé De raris et admirandis herbis (1555).

Longue de 130 hexamètres, la Stockhorniade fut rédigée dans le contexte de l’expansion bernoise, des conflits religieux et du mercenariat, comme le relève Max Bratschi; le poète se montre du reste critique envers la guerre. La montagne y est considérée différemment que dans les récits d’ascension antérieurs, qui étaient marqués par la crainte de l’inconnu (par exemple la lettre de Pétrarque sur le mont Ventoux). La description de Rhellicanus est en effet dépourvue de merveilleux (dragons, grottes effrayantes ou autres dangers) et son approche est celle d’un humaniste réformé et d’un savant curieux de tout ce que la montagne a à offrir.

Le poème présente la structure suivante:

1-7: Réveil, déjeuner et départ de nuit depuis le presbytère d’Erlenbach (730 m) dans le Simmental.
8-17: Deux compagnons les rejoignent; l’un d’eux connaît la course des astres.
19-21: Montée à l’alpage de Chlusi (1320 m) et premier pique-nique.
21-39: Passage du Chrindli (1637 m), près du lac de Hinterstocken, qui est dépourvu de poissons; deuxième pique-nique près de sources glacées.
39-51: Kunz partage sa connaissance des plantes; ils atteignent le sommet du Stockhorn.
51-73: Ils admirent la vue; troisième pique-nique, mise en valeur des produits laitiers; ils font rouler un rocher pour en écouter le bruit, puis entament la descente.
74-83: Zoologie, observation du bec et du plumage d’un lagopède alpin qu’ils ont fait tomber en employant une fronde.
84-95: Ils arrivent vers une cabane sur l’alpage d’Oberstocken, où le neveu de Kunz leur offre du fromage et du lait; ils montent sur une crête pour tenter, en vain, d’apercevoir des chamois.
96-103: Descente par un chemin plus aisé que lors de la montée, arrivée à Erlenbach et au presbytère.
104-109: Les habitants d’Erlenbach les invitent à un repas; seul Endsberg s’y rend, les autres sont épuisés par leurs efforts et la chaleur.
110-122: Ils regrettent de ne pouvoir honorer l’accueil local; Nikolaus Lehnherr, qui a l’éloquence de Nestor et la richesse de Crésus, fait honneur aux invités et les remercie.
123-125: Le poète, pour complimenter leurs hôtes, leur attribue les qualités morales des anciens Helvètes.
126-130: Ils s’engagent à ne pas oublier les bienfaits qu’ils ont reçus; le lendemain ils prennent la route pour rentrer à Berne.

L’extrait présenté ici concerne le moment où le groupe touche au but de son excursion. Il y a tout d’abord (v. 21-31) une description des lieux où les voyageurs passent et de ce qu’ils voient (rochers, lac, source); puis la halte pour le repas (v. 31-38), suivie d’une leçon de botanique donnée par Peter Kunz (v. 39-47); et enfin l’arrivée au sommet et la contemplation du paysage (v. 51-55). Le passage est caractérisé par des allusions mythologiques ou poétiques (Aréthuse et Alphée, la fontaine de Bandusie célébrée par Horace). Le vers de transition (v. 39) entre la scène du repas et la présentation des plantes est un emprunt flagrant à l’Énéide (1, 216), auquel on peut ajouter le mot ferina (v. 33), la venaison, repris du même passage virgilien (Aen. 1, 215). Par ailleurs, William Barton fait remarquer que la description de la vue depuis le sommet correspond aux représentations de paysages issus de la tradition antique et repris à la Renaissance; y sont rassemblés lacs, rivières, champs, villes et montagnes. La montagne offre ainsi l’opportunité à Rhellicanus et à ses compagnons de rassasier leurs yeux autant que leur ventre. De ce fait, la vue fait partie intégrante de l’expérience de la montagne.

 

Bibliographie

Barton, W. M., Mountain aesthetics in early modern Latin literature, Londres, Routledge, 2017, p. 95-96.

Gelzer, Th., «Die Stockhornias des J. Rhellicanus. Eine Bergbesteigung im Simmental 1536», dans Zehn Jahre Sommeruniversität Lenk, éd. E. J. Beer et Th. Gelzer, Lenk, Stiftung Kulturförderung Lenk, 1997, p. 25-33.

Mahlmann-Bauer, B., «Charakteristika des Schweizer Humanismus: das Beispiel von Johannes Rhellicanus und Leonhart Hospinianus», dans La littérature latine des humanistes suisses au XVIe siècle, éd. D. Amherdt, Camenae 26, 2020, p. 23-24, online, https://www.saprat.fr/media/04f26dacdb267ccd4d8a808bb97c10a9/camenae-26-10-mahlmann-bauer-fevrier-reduite.pdf.