Lettre de Glaréan à Tschudi sur une «apparition» de fantômes et sur la Russie

Traduction (Français)

Traduction: David Amherdt (notes originales en allemand: Clemens Schlip)


Glaréan salue Aegidius Tschudi. À propos de l’illusion des lémures ou des fantômes, je suis douloureusement surpris, mon très doux Aegidius, que l’on accorde autant de liberté au démon ou à ses serviteurs. Pour ma part, je ne vais pas nier que cela ait pu se produire avec la permission de Dieu, mais, par Hercule, c’est plus par une tromperie humaine que réellement que cela s’est produit. Maître Ambrosius de Gampenberg me racontait récemment qu’un jour à Nuremberg, lorsque lui-même s’y trouvait, l’un d’eux avait plongé la ville entière dans l’étonnement et la stupéfaction. Quatre mille personnes se tenaient debout devant je ne sais quel édifice; quelqu’un, du haut de cet édifice, leur lançait au grand jour des tuiles, des pierres, des pots, que sais-je, et, pendant trois jours, il ne fut pas possible de l’appréhender. Il avait trouvé une ouverture dans le toit qui lui servait de porte, si bien que, lorsque les gardes étaient entrés, ils n’avaient trouvé personne, jusqu’à ce que par hasard le responsable fût attrapé sur le toit par quelqu’un et qu’il expiât sa plaisanterie. Ces évangéliques de l’enfer ont toutes les audaces, mais sans succès. Toi, sois courageux! Je ne doute pas que cela se produit en raison d’une tromperie humaine. Toute la jeunesse de notre époque a été à ce point éduquée dans la malice qu’elle se rapproche extrêmement de Sodome et de Gomorrhe. L’ivresse, la perfidie, l’impiété, les sacrilèges et le mépris de Dieu se sont emparés des esprits de tous. Nulle part le monde ne fut plus corrompu. Mais assez sur le sujet.

Johannes Paumgartner, Augsbourgeois, conseiller de nos empereurs, m’a envoyé un livre sur les mœurs des Moscovites par un certain baron de Herberstein, Neuburg et Gattenhag qui est allé deux fois dans cette région comme ambassadeur, une fois sous l’empereur Maximilien, la seconde sous l’empereur actuel; dans ce livre sont contenues des informations étonnantes sur leur contrée et leurs mœurs. Pendant un mois entier je me suis distrait avec ce livre, devenant à moitié moscovite. Ils sont chrétiens mais grecs, poursuivant les Tartares de la plus terrible haine; ils ne nous aiment pas pour autant, car ils estiment que nous ne sommes pas de vrais chrétiens, parce que nous ne consacrons pas le corps du Seigneur avec du pain azyme, parce que souvent nous ne respectons pas des semaines entières de grand jeûne, parce que nous interdisons le mariage des prêtres, parce que nous croyons que l’Esprit Saint procède du Fils et parce que jeûnons le samedi. Ils ont ces cinq critiques contre nous. Je ne comprends pas la dernière, eux-mêmes se trompent concernant l’avant-dernière, les trois premières n’ont pas grande importance. J’ai demandé à Paumgartner de m’obtenir un exemplaire de ce livre soit à ma prière, soit contre de l’argent, car l’exemplaire qu’il m’avait envoyé et qu’il me réclamait, tout en attendant mon jugement, était son unique exemplaire.

Le docteur Mathias Held, que tu connais, achète ici pour huit mille pièces d’or une magnifique maison et des propriétés, dans l’intention de passer la dernière partie de sa vieillesse ici à l’université; c’est un très grand ami à moi. Puissé-je te voir une troisième fois, pour ton bien et celui des tiens. En effet, où va notre patrie avec tant de dissensions, de joyeuses réjouissances et d’accoutrements prodigieux? je ne vois pas comment, en fin de compte, elle peut se les permettre sans être soutenue par une aide extérieure. Que Dieu donne à tous les chrétiens un esprit sain dans un corps sain. Porte-toi bien, excellent Aegidius, et aime-nous, car nous t’apprécions et t’aimons tout particulièrement; mieux, nous t’admirons comme la principale lumière de notre patrie. Mon épouse me charge de bien vous saluer, toi et ton épouse, ton Hercule et son épouse, et je fais de même. Donné à Fribourg le 21 janvier 1550.