Extraits de l’épître dédicatoire sur Martial. Troisième dialogue

Übersetzung (Französisch)

Extraits de l’épître dédicatoire

Aux très illustres sieurs Félix Fry, prévôt de Zurich, et Heinrich Bullinger, Gaspar Megander, Érasme Fabricius, Rudolf Gwalther, prédicateurs de la parole et Dieu, et aux autres professeurs de la sagesse divine et humaine dans les trois langues, honorables mécènes et enseignants, meilleures salutations de Conrad Gessner.

Après avoir autrefois, dans ma jeunesse, maîtres vénérés, acquis (c’est en tout cas ce qu’il me semblait) grâce à vous les rudiments des langues grecque et latine, je commençai aussitôt à attacher mon esprit à la poésie. Alors que je m’y appliquais avec trop d’avidité, je tombai par hasard sur les épigrammes de Martial, et je m’amusai à les lire plus souvent que ce qui était convenable. Il arriva ainsi que je fis quelque progrès dans la poésie et la langue latines; mais au lieu d’acquérir une meilleure connaissance des sujets et des idées dont l’esprit d’un enfant aurait dû être instruit, je souillai mon esprit par la connaissance des genres de vices nombreux et variés dont était accablée l’époque de ce poète. Car le fait même de penser à des actes interdits est une grande partie de la faute.

Ensuite, peu à peu, alors que j’étais déjà plus avancé en âge et davantage instruit par la lecture des Écritures qui me servaient d’antidote, je conçus une certaine haine et un certain dégoût à l’égard de ce poète. Mais je ne fus pas capable de m’abstenir totalement de prendre quelquefois ce livre en main pour en lire seulement les passages les plus dignes, afin de charmer mon esprit, mais même ainsi, sans que je le veuille, de nombreux passages obscènes s’offraient à moi çà et là. Comprenant clairement le tort que cela m’a causé, je n’ai pas pu, en conscience, ne pas mettre en garde les autres et rendre compte publiquement des dommages que j’ai subis, afin qu’à l’avenir les autres, surtout les jeunes gens, veillent à ne pas être souillés par un mal peut-être plus grand que celui que j’ai subi autrefois. Car même chez les hommes de la plus haute antiquité, avant la découverte de l’art de la médecine, tous ceux qui avaient été atteints par quelque maladie rendaient publics, au moyen de tablettes placées dans les temples, ce qui leur avait été bénéfique ou au contraire ce qui leur avait causé du tort, jusqu’à ce que finalement, à partir des nombreuses expériences ainsi recueillies, se soit établie la méthode de cet art. De même manière, afin de fournir un remède aux esprits, j’ai jugé maintenant qu’il était de mon devoir de faire connaître à tout le monde les dommages que j’ai subis autrefois. En fait, récemment, après mûre réflexion, j’ai imaginé un remède au mal qui se trouve dans ce poète. En effet, même si mon âge, mais aussi ma profession, me détourne désormais de ces études pour d’autres plus sérieuses, faisant œuvre d’utilité publique, j’ai entrepris avec ardeur tout ce qui se rapporte à ce travail. En effet, j’ai coupé et jeté tout ce dont le sujet était trop honteux, tout ce qu’il y avait de déshonnête, de laid, d’obscène, d’infâme, de monstrueux ou tout ce qui de quelque façon donnait aux esprits ignorants des lecteurs une occasion de penser à quelque chose d’inconvenant. C’est pourquoi, tantôt j’ai totalement éliminé des épigrammes (soit parce qu’elles ne contenaient nulle part rien de sain et de sacré, comme on dit, soit en raison de l’un ou l’autre vers ou également expression dont le sens était pervers), tantôt j’ai seulement coupé une partie, pour éviter qu’ensuite quelque chose de vicieux ne parvienne à un corps sain, à la condition néanmoins que le poème garde son sens complet. Je n’ai pas même épargné les épigrammes qui pouvaient paraître peu lascives, afin de veiller très scrupuleusement au bien des jeunes garçons. En vérité, cette tâche ne m’a pas demandé peu de travail et de temps. J’ai dû lire la totalité et examiner attentivement de nombreux passages obscurs, pour éviter que par hasard ne m’échappe secrètement un passage très honteux. […] Si le premier philosophe de l’Académie avait pu lire jadis ce poète, sans aucun doute l’aurait-il chassé, plus que n’importe qui, pour l’envoyer en exil aussi loin possible de sa République, non certes couronné de bandelettes de laine blanche, ni la tête imprégnée d’un parfum précieux, comme Homère autrefois, mais à coup de fourches et de pierres. Mais en le voyant ensuite ressuscité et nettoyé, tel qu’il est maintenant, il aurait voulu le rappeler en lui proposant une récompense, car, par des plaisanteries honnêtes et des poèmes charmants dépourvus de vice, écrits avec élégance et soin, il est capable de réjouir les esprits en même temps qu’il les instruit, et d’éloigner les lecteurs des mauvaises passions par lesquelles les hommes oisifs se laissent captiver. Mais les raisons de mon projet sont expliquées plus abondamment dans les dialogues composés dans ce but même et ajoutés à Martial en guise d’appendice. […]

 

Troisième dialogue

[…]

Rhadamanthe

Parmi les proverbes se trouve la célèbre maxime suivante: «Le poulpe a dans sa tête du mauvais comme du bon». On aura bien raison de l’appliquer à Martial. En effet, je m’aperçois qu’on peut lire chez lui des épigrammes très différentes les unes des autres: «beaucoup sont salutaires lorsqu’elles sont mélangées, beaucoup sont malfaisantes». C’est pourquoi, je ne saurais totalement l’absoudre, puisqu’il y a chez lui beaucoup de défauts, et à l’inverse je ne saurais entièrement le condamner, puisqu’il a dit beaucoup de choses louables et pleines de mesure, et qu’il confère à la langue latine beaucoup d’élégance en même temps que de richesse. Mais si je voulais le poursuivre selon la plus grande justice, il serait assurément plus juste qu’il périsse en raison de ses défauts plutôt qu’il soit conservé eu égard à ses qualités. Du moment que, comme le dit l’apôtre des gentils, il ne faut pas commettre le mal pour qu’il en advienne quelque chose de bon, de même il ne faut pas lire des vers impies pour la connaissance de la langue latine qu’ils apportent ou pour quelques bonnes sentences qui s’y trouvent mêlées. Mais puisque tout ce qu’il contient de vicieux peut être séparé des parties saines, je prononce cette sentence, issue d’un jugement équitable, et je veux et j’ordonne qu’elle soit ratifiée pour toujours sur tout le territoire de mon empire.

Mitio

Valerius Martial doit d’abord être émasculé, puis être coupé par le fer partie après partie, de sorte que plus aucun de ses membres ne lui soit attaché; ensuite toutes les parcelles qui auront été infectées par quelque peste seront soigneusement brûlées par quelque médecin expérimenté, les autres seront à nouveau réunies, après avoir été arrangées morceau après morceau, en un nouveau corps, comme Esculape autrefois, dit-on, avait ramené, grâce à l’art de la médecine, à leur ancienne intégrité les membres de l’Athénien Hippolyte mis en pièces par des chevaux. Si quelqu’un venait, de manière irréfléchie, à s’opposer à ma sentence, je veux qu’on lui applique aussi le châtiment de la castration.

Teleboas

C’est terminé, retirez-vous; partez tous d’ici immédiatement.