Traité sur les bains de Pfäfers
Augustin Stöcklin
Introduction: Clemens Schlip (traduction française: David Amherdt). Version: 30.06.2025
Date de composition: entre octobre 1630 et mai 1631 (voir l’introduction).
Éditions: Nymphaeum Beatissimae Virg[inis] Mariae Fabariensis. Sive Tractatus de celeberrimis Fabarianis thermis, vulgo Pfefers Bad, in superiore Helvetia, medela, situ et natura plane admirandis. Deque earundem thermarum ex profundissima, periculosissimaque specu in apricum atque amoenum locum nupera, eaque felicissima derivatione. Auctore Reverendo P. F. Augustino Stöcklin caenobita in Mure, SS. Theologiae Baccalaureo, Dillingen, Erhard Lochner, 1631, p. 24-5 114-123, 123-143.
Traduction/adaptation en langue vernaculaire: Johann Kolweck, Tractat von deß überauß heylsamen, weitberühmten, selbst warmen unser lieben Frawen Pfefers Bad, Dillingen, Erhard Lochner, 1631.
L’auteur: Augustin Stöcklin
Augustin Stöcklin naquit vers la fin du XVIe siècle à Muri sous le nom de Johann Jacob Stöcklin; il est le fils de Johannes Stöcklin, amman de l’abbaye de Muri et aubergiste. Après la mort prématurée de son père (1600), sa mère se maria une seconde fois, avec un homme que Stöcklin ne supportait manifestement pas et qu’il qualifia plus tard sans ambages de bestia («bête»; à tort ou à raison, nous ne pouvons pas en décider ici). Probablement avec le soutien de l’abbé de Muri, Stöcklin étudia à partir de 1606 à l’école jésuite de Lucerne et à partir de 1610 à l’université jésuite de Dillingen, qui était à l’époque très prisée par les catholiques suisses (et notamment par les bénédictins). Après avoir obtenu le grade de maître de la faculté de philosophie en 1613, il entra à l’abbaye de Muri, où il prononça ses vœux monastiques en 1614 sous le nom d’Augustinus. Le jeune moine enseigna d’abord les sciences humaines et la théologie à Muri. En raison de ses dons intellectuels évidents, il fut autorisé à effectuer un nouveau séjour d’études à Dillingen en 1618, où il obtint en 1619 un baccalauréat en théologie et en droit canonique. Il reprit ensuite son activité d’enseignant à l’école de l’abbaye de Muri. En 1623, il fut envoyé avec un confrère par la congrégation bénédictine suisse à l’abbaye de Pfäfers, alors en pleine crise, où il fut d’abord quelques mois sous-prieur puis, après la mort de son confrère de Muri, doyen. L’abbé précédent, Michael Saxer, resta nominalement en fonction jusqu’en 1626, date à laquelle il fut remplacé par un moine de Pfäfers (Jodok Höslin) qui, avec Stöcklin, entreprit la réforme interne du monastère. Stöcklin s’intéressait particulièrement à la liturgie et à la formation de la relève de l’abbaye; il s’intéressa en outre de près à l’histoire de Pfäfers et rassembla de nombreux documents à ce sujet, ce qui l’amena à entreprendre des voyages de recherche (Coire, Saint-Gall, Glaris). Il s’intéressa également à l’histoire de l’abbaye de Disentis, dans laquelle l’un de ses deux (jeunes) frères, Georg, était entré en 1617, et rassembla le matériel nécessaire à ses recherches. En 1629, il retourna à Pfäfers, où il poursuivit ses études historiques. Son vaste ouvrage sur l’histoire de l’abbaye de Pfäfers (Antiquitates liberi et imperialis monasterii Fabariensis, 1628) n’est conservé que sous forme manuscrite et ne fut pas imprimé, bien qu’une telle impression eût certainement été prévue à l’origine. Stöcklin n’eut pas la possibilité d’élaborer cette œuvre dans tous ses détails, et des considérations politiques firent probablement obstacle à son impression. Le 21ème chapitre de cet ouvrage, consacré aux bains de Pfäfers, servit plus tard de point de départ à l’œuvre que nous présentons ici. En outre, il rassembla du matériel pour l’histoire de sa propre abbaye de Muri (Miscella hystorica monasterii Murensis collecta, 1630). Même après son retour à Muri, il resta en contact étroit avec Pfäfers, ce qui se traduisit notamment par la publication du Nymphaeum Beatissimae Virginis Mariae Fabariensis. En outre, il donna des conseils juridiques aux habitants de Pfäfers et les aida à développer leur bibliothèque. L’année même de la parution du Nymphaeum, il fut nommé administrateur de l’abbaye de Disentis, où il entreprit, avec deux autres moines de Muri, de mettre en œuvre la réforme tridentine. En 1634, le nonce du pape Ranuccio Scotti le nomma abbé de Disentis, ce qui provoqua le mécontentement de la juridiction de la Cadi, qui exerçait depuis 1401 le bailliage sur l’abbaye, car Stöcklin était ainsi le premier abbé à ne pas avoir été investi dans sa fonction par le pouvoir séculier local. Les désaccords purent toutefois être réglés grâce à la médiation des cantons catholiques confédérés et de la Ligue grise. En plus de ses obligations d’administrateur et d’abbé et de nombreuses autres fonctions qu’il devait exercer lui-même (maître des novices, bibliothécaire...) dans une abbaye modestement peuplée, Stöcklin entreprit d’intenses études historiques, juridiques et hagiographiques sur l’histoire de l’abbaye de Disentis, qui avaient en partie pour but de renforcer l’indépendance de l’abbaye vis-à-vis des pouvoirs séculiers locaux (la Cadi déjà mentionnée) ainsi que de l’évêché de Coire. Il mourut le 30 septembre 1641, victime d’une attaque cérébrale.
Les sources d’eau chaude de Pfäfers
On appelle acrothermes («eaux thermales pures») «une source faiblement minéralisée qui se distingue de l’eau du robinet ordinaire par le fait qu’elle a une teneur nettement plus faible en éléments dissous, mais qui sont particulièrement précieux sur le plan biologique». Pour l’eau thermale de Pfäfers, outre l’effet apaisant et les bienfaits pour la peau caractéristiques des bains thermaux, d’autres effets positifs peuvent être démontrés, comme la baisse de la tension artérielle et l’augmentation de la capacité cardiaque; en cas de cure de boisson, on peut constater des effets positifs sur la muqueuse gastrique et la capacité rénale.
La découverte des thermes de Pfäfers est nimbée de légendes. Selon une tradition, la source thermale des gorges de la Tamina aurait été découverte vers 1030 par un seigneur de la famille Carl von Hohenbalken. Dans sa Rhaetia, l’historien glaronnais Aegidius Tschudi, qui, en tant que bailli, résidait parfois non loin de la source au château de Sargans, fait remonter à 1240 environ la découverte de la source par un chasseur de l’abbaye de Muri du nom de Vogler. Un premier document attestant de l’exploitation des bains date du 25 janvier 1382. La source, cachée dans les gorges, fut longtemps difficilement accessible. À l’origine, les visiteurs y accédaient par des échelles suspendues ou des chaises à porteurs accrochées aux parois rocheuses. Au prix de grandes difficultés, la grotte fut agrandie et les bâtiments nécessaires à la baignade et à l’accueil furent construits à proximité de la source. La plupart du temps, les bains étaient éclairés artificiellement, car il n’y avait guère de lumière naturelle dans les établissements de bains. À partir de 1543, l’accès aux bains devint plus facile, car l’abbé de Pfäfers fit construire une passerelle en bois fixée au rocher, qui menait aux bains depuis la vallée antérieure de la Tamina, à dix mètres au-dessus de la Tamina. L’utilisation de cette passerelle n’était toutefois pas sans danger. La fréquentation soutenue des bains à partir du XVe siècle fut suivie d’une crise, due à l’apparition de la Réforme, qui ne fut surmontée qu’à partir du début du XVIIe siècle grâce à des mesures prises par les abbés de Pfäfers. Parmi celles-ci, la construction d’un nouvel établissement de bains baroque à l’extérieur des gorges, vers lequel l’eau était déviée par des conduites en bois; comme nous l’expliquerons plus en détail plus loin, cette construction fut à l’origine du Nymphaeum de Stöcklin. Les bains baroques de Pfäfers connurent de nombreuses extensions aux XVIIIe et XIXe siècles. En 1838, à la suite de la sécularisation de l’abbaye, l’installation revint au canton de Saint-Gall, qui construisit en 1839-1940 une conduite d’eau (conduites en bois, remplacées en 1962 par un tuyau à double paroi) vers Ragaz, créant ainsi les bains de cette localité, qui existent encore aujourd’hui. Les bains de Pfäfers existèrent parallèlement aux bains de Ragaz jusqu’en 1969, mais furent fermés après la construction de la nouvelle clinique thermale de Valens qui, comme Bad Ragaz, tire son eau de la source de Pfäfers. Les bains baroques, devenus un musée, ainsi que les gorges de la Tamina sont aujourd’hui des destinations touristiques très appréciées, même en l’absence de bains.
Le Nymphaeum Beatissimae Virg[inis] Mariae Fabariensis
Au cours de l’hiver 1624-1625, l’établissement de bains situé dans la partie supérieure des gorges de la Tamina (ce qu’on appelle en allemand le «Herrenbad», les bains pour les hôtes de haut rang) souffrit de graves dommages dus à la glace et aux éboulis. On décida ensuite de détourner l’eau de source des gorges à l’aide d’une conduite en bois et de construire un nouvel établissement de bains à la sortie des gorges; un incendie, qui détruisit également les bains inférieurs en décembre 1629, accéléra ce projet. La déviation de l’eau fut réalisée par le maître charpentier de l’Allgäu Johannes Zeller. En octobre 1630, Stöcklin vit la conduite d’eau, commencée en janvier et achevée le 19 mai, et décida d’honorer les bains d’une description littéraire. Il mit son projet à exécution et l’acheva avant le 26 mai 1631 (date de sa Dedicatio à l’abbé Jodok). Pendant qu’il composait son ouvrage, il déclara à plusieurs reprises qu’il s’inspirait de Juste Lipse, son auteur préféré. Concrètement, la structure et l’organisation du Nymphaeum sont clairement influencées par deux œuvres de Juste Lipse, la Diva Virgo Hallensis (1605) et la Diva Sichemiensis sive Aspricollis (1605). Il s’agit de deux écrits qui connurent un grand succès dans l’Europe catholique et qui sont respectivement consacrés à un lieu de pèlerinage marial (Absam près de Hall dans le Tyrol et Scherpenheuvel dans les Flandres) et aux miracles qui s’y sont produits; ils ont inspiré de nombreux successeurs, tant en latin que dans les langues vernaculaires, parmi lesquels on peut également compter Stöcklin. Le sujet de l’œuvre de Stöcklin étant différent, celui-ci, bien qu’influencé par Juste Lipse, ne pouvait l’imiter pour ce qui est du contenu. Mais même sur le plan stylistique, Stöcklin est moins influencé par l’obscurité forcée de la mode lipsienne de l’époque (elle-même influencée par Tacite et Sénèque) qu’on pourrait le supposer, et ce malgré son admiration déclarée pour cet auteur; il reste fidèle à des modèles plus classiques (au reste, on ne soulignera jamais assez que le Nymphaeum ne se distingue pas particulièrement par la qualité de son style). Le fait que Stöcklin ait reçu une grande partie de sa formation dans des institutions jésuites à Lucerne et à Dillingen et que les jésuites germanophones rejetaient le style lipsien et ne l’enseignaient donc certainement pas joua peut-être un rôle; pour Dillingen, un témoignage datant de 1609 (un an avant le premier séjour de Stöcklin dans cette ville) prouve que l’on s’opposait vivement aux tendances lipsiennes parmi les élèves. Mais peut-être Stöcklin lui-même avait-il compris qu’il ne serait pas en mesure d’égaler le modèle de Lipse, qui n’était en réalité pas si facile à imiter…
Pour composer son ouvrage, Stöcklin s’appuya, en plus de divers écrits antérieurs (comme celui de Paracelse mentionné plus bas), sur les explications d’un médecin contemporain (qu’il connaissait personnellement) qu’il traduisit de l’allemand en latin, non sans indiquer sa source. Il s’agissait du médecin tyrolien Hippolyt Guarinonius, un catholique résolu et animé d’un esprit anti-réformateur, dont le zèle était parfois excessif, même pour les jésuites tyroliens. Guarinonius était un ami de l’abbé Jodok et avait visité lui-même la source thermale pour se faire une idée de sa situation et de ses effets. En outre, il lut et commenta les projets du Nymphaeum de Stöcklin, qui intégra ensuite les remarques du médecin dans son texte. Du propre aveu de Stöcklin, le style allemand de Guarinonius mettait le cerveau du traducteur Stöcklin à rude épreuve. Les difficultés de Stöcklin se communiquent également au lecteur de sa traduction, car les ambiguïtés et les maladresses du modèle allemand ont laissé des traces à certains endroits du texte latin. De plus, il n’est pas toujours aisé de déterminer avec exactitude où s’achèvent les citations de Guarinonius, celles-ci n’étant sont pas clairement signalées (par exemple par des guillemets). Le texte de Guarinonius contenait également des vers dont Stöcklin ne fit qu’une traduction en prose; c’est à l’abbé Jodok Höslin que l’on doit la forme métrique sous laquelle ils sont présentés dans le Nymphaeum. On notera en passant que Guarinonius, dans son œuvre majeure Grewel der Verwüstung menschlichen Geschlechts (Ingolstadt, Angermayr, 1610), blâme les comportements nuisibles dans les stations balnéaires de son époque (p. 952-957), au chapitre 27 du livre V, sous le titre «Vom verfluchten Grewel, Abschewlichkeit unnd unleidenichen gemeinen Mißbrauch der Voll- und Wildtbäder». On comprend mieux, dans ce contexte, pourquoi il portait un jugement plutôt positif sur les bains de Pfäfers, situés à l’écart et où les excès qu’il dénonçait n’étaient souvent même pas possibles. Outre Guarinonius, Stöcklin cite également d’autres auteurs qui s’exprimèrent sur les sources thermales de Pfäfers: Paracelse est sans doute le plus connu d’entre eux aujourd’hui, mais il existe également plusieurs poèmes à la gloire des anciens bains de Pfäfers, dont le premier et le plus long est l’œuvre de Charles Paschal, l’envoyé du roi de France auprès des Trois Ligues. Stöcklin place à la fin de son Proloquium adressé aux lecteurs une liste de tous les auteurs qu’il a consultés dans le Nymphaeum (fol. B 4ro-vo); il s’agit en grande partie de sources imprimées.
L’ouvrage fut imprimé durant l’été 1631 dans le fief des jésuites à Dillingen, car Stöcklin ne voulait pas confier cette tâche à un imprimeur protestant et, de plus, des moines de Muri se trouvaient alors à Dillingen pour leurs études et pouvaient jeter un œil sur l’exécution de la commande. L’ouvrage lui-même se divise en deux grandes parties: la première est consacrée à l’histoire des anciens bains (chapitres 1-12), la seconde à la naissance des nouveaux bains (chapitres 12-21). Chacune de ces deux parties est précédée d’une gravure; la première montre la Beatissima Virgo Maria Fabariensis, Salus Infirmorum, Consolatrix Afflictorum (Bienheureuse Vierge Marie de Pfäfers, Salut des malades, Consolatrice des affligés) au milieu des rochers, tenant dans ses bras l’Enfant Jésus bénissant une source jaillissant de la pierre, la seconde, Marie-Madeleine en pénitente dans une grotte (on avait donné son nom à une grotte découverte en 1628). Dans la première partie, l’image est suivie de plusieurs paratextes. Tout d’abord, l’autorisation d’imprimer (censura et approbatio) donnée par le chancelier de l’université de Dillingen, le jésuite Christopher Streborius. Le livre est en outre précédé d’une Laus Dei eucharistica et eiusdem invocatio, une longue prière dans laquelle sont insérées de nombreuses citations de la Bible (en premier lieu de l’Ancien Testament). Suivent deux courts poèmes d’éloge (épigrammes), l’un du bénédictin de Muri Dominikus Tschudi sur les sources de Pfäfers, l’autre sur l’abbé de Pfäfers Jodok Höslin, dont l’auteur est le moine de Disentis Martin Stöcklin, frère cadet d’Augustin Stöcklin, qui s’appelait Georg avant son entrée dans l’ordre; en fait, le poème fut écrit par Augustin Stöcklin et Bonaventura Honegger, qui s’étaient inspirés d’une épigramme de Giovanni Antonio Campano sur l’invention de l’alun. Ensuite, le prêtre glaronnais Adrian Bachman est l’auteur d’une autre épigramme adressée à l’abbé Höslin. Puis le bénédictin de Pfäfers Wilhelm Jonas, dans une ode, remercie à son tour l’auteur du Nymphaeum, Augustin Stöcklin, qui est l’auteur de l’épître dédicatoire (Dedicatio) qui suit, adressée à l’abbé de Pfäfers. Dans la deuxième partie, entre le tableau et le début du douzième chapitre, se trouve un poème en distiques élégiaques intitulé Eligidion, écrit par le médecin saint-gallois Heinrich Schobinger à l’intention de l’abbé Jodok Höslin, en guise de remerciement pour la déviation de l’eau de source ordonnée par ce dernier. À la fin de la deuxième partie, Stöcklin a placé un Supplex auctoris suspirium (p. 287-290), une prière à la Vierge Marie, dans laquelle il lui demande de continuer à protéger les bains de Pfäfers. Deux index et une courte liste d’errata concluent l’ouvrage.
Stöcklin soumit également son manuscrit au jugement critique du notable grison Johannes Guler von Wyneck avant même qu’il ne soit imprimé, ce qui est particulièrement remarquable dans la mesure où ce dernier était protestant (des vers latins qu’il a écrits sur les bains de Pfäfers sont d’ailleurs cités dans le Nymphaeum, de même qu’une lettre adressée à l’abbé Höslin dans laquelle Stöcklin affirme se réjouir du détournement de la source). Ce dernier déclara avoir apprécié la lecture, mais critiqua les répétitions du contenu et le style inégal. Stöcklin remercia Guler, mais excusa le manque d’homogénéité et les répétitions par le grand nombre de thèmes traités et d’auteurs cités. La suggestion de Guler de faire imprimer à Bâle chez «Magister Lucius» (probablement le professeur bâlois Ludwig Lucius) fut bien sûr ignorée par Stöcklin au profit de la catholique Dillingen.
La même année parut, à Dillingen également, le Tractat von deß überauß heylsamen, weitberühmten, selbst warmen unser lieben Frawen Pfefers Bad de Johann Kolweck, le secrétaire de l’abbé de Pfäfers, qui, de son propre aveu, présentait ainsi essentiellement une version en langue vernaculaire du Nymphaeum de Stöcklin (en remaniant linguistiquement le traité de Guarinonius dont il disposait, rédigé en allemand du Tyrol, afin de le rendre plus compréhensible pour le public visé). On peut donc parler d’une campagne éditoriale délibérément mise en place, qui visait différents groupes de lecteurs en diversifiant l’offre imprimée, le Nymphaeum latin de Stöcklin étant susceptible d’atteindre les érudits, les lettrés et un public international.
Les extraits choisis
Les trois extraits sélectionnés sont tous issus de la pars prior du Nymphaeum, consacrée aux conditions de baignade avant les travaux de 1630. Le premier texte est tiré du troisième chapitre. Il traite tout d’abord des dimensions extérieures des gorges où se trouvaient les bains. Stöcklin fait également référence, dans sa propre traduction de l’allemand, à ce que Guarinonius, qu’il appelle «notre géomètre», avait remarqué à ce sujet, en précisant d’emblée qu’il avait des doutes sur certaines opinions du médecin. Ce dernier avait calculé à quelle vitesse l’eau avait creusé la gorge depuis la création du monde (qui eut lieu, selon lui, en 3962 av. J.-C.). Conformément à sa tournure d’esprit d’esprit très théologique, il en conclut que l’eau atteignait logiquement, au moment où le Christ s’offrit en sacrifice sur la croix, l’endroit où se trouvait à l’époque la chapelle où était célébré le sacrifice de la messe, qui, selon la doctrine catholique, est un renouvellement non sanglant du sacrifice de la croix. Les explications cryptiques de Stöcklin et de Guarinonius témoignent de leurs efforts pour concilier une observation scientifique et géologique (l’effet corrosif de l’eau sur les rochers) avec une chronologie mondiale basée sur une interprétation littéraire de la Bible. Guarinonius voit dans la formation des gorges de la grotte de Pfäfers une preuve de la création du monde par Dieu et une réfutation de la théorie, qu’il rejette avec indignation, selon laquelle le monde n’aurait pas été créé mais existerait de toute éternité (un point de vue qu’il assimile à une vision du monde athée et perverse).
Le deuxième extrait, tiré du dixième chapitre, traite des vertus curatives du bain. Stöcklin évoque l’avis de trois autorités, selon lequel l’eau de Pfäfers atténue les pulsions sexuelles. Il souligne en outre de manière positive que l’éloignement des thermes de Pfäfers rend impossible certains excès que l’on se permettait dans d’autres lieux de baignade.
L’affirmation de Stöcklin (fondée sur un cas parallèle chez Pline l’Ancien ainsi que sur des témoignages et une prétendue observation personnelle) selon laquelle les bains de Pfäfers seraient le théâtre d’une génération spontanée de grenouilles et de canards hors de l’eau, ne manquera pas de surprendre les lecteurs d’aujourd’hui. Il faut toutefois se rappeler que, selon les opinions scientifiques de l’époque, encore largement fondées sur les théories d’Aristote, de telles générations spontanées de matière animée à partir de matière inanimée (chez Aristote: γένεσις αὐτόματος) étaient considérées comme possibles (mais des doutes fondés à ce sujet commencèrent à se faire entendre au cours du XVIIe siècle). Stöcklin aborde également les hallucinations acoustiques causées chez certains baigneurs par le bruit de l’eau de source, et qui peuvent être agréables ou désagréables. Il accorde également une attention particulière au phénomène de tarissement de la source thermale pendant les mois d’hiver et cherche, en s’appuyant sur différentes autorités (dont Paracelse), des justifications scientifiques à ce phénomène. Il ne parvient pas à trouver une explication claire, mais il a au moins la certitude subjective, caractéristique d’un auteur monastique, que cette énigme naturelle sert également à louer Dieu, qui en est le responsable ultime. On peut peut-être noter ici que la question de l’origine de l’eau de Pfäfers n’a pas encore été définitivement élucidée.
Le troisième extrait, tiré du chapitre 11, traite de l’utilisation concrète de la source de Pfäfers. Après un bref aperçu d’une coutume folklorique des riverains (qui s’y baignent chaque année la nuit de Walpurgis et y trempent leurs vêtements), Stöcklin aborde en détail la cure thermale de Pfäfers et son déroulement, en recourant à nouveau largement aux explications de Guarinonius. Le cheminement de la pensée n’est pas toujours très rigoureux, mais il fournit au lecteur des aperçus fascinants et variés sur les convictions médicales de l’époque et sur les conditions régnant aux bains de Pfäfers. Citons quelques-uns des thèmes abordés dans cette section: les séjours excessifs au bain et leurs effets secondaires sous forme d’éruptions cutanées; l’incompatibilité d’une cure thermale avec une consommation excessive d’alcool; la discussion sur l’effet thérapeutique de l’eau de Pfäfers en cas de lèpre; les mesures prises à l’égard des femmes enceintes; le transport de l’eau de Pfäfers vers d’autres lieux pour y effectuer des cures de boisson, etc. On apprend entre autres que les hôtes célèbres des bains de Pfäfers venaient parfois de loin: la visite du noble polono-lituanien Janusz Radziwiłł en est un exemple. À la fin du onzième chapitre (et de notre extrait), Stöcklin passe à la construction de l’aqueduc menant à l’entrée de la gorge, à laquelle il consacre la deuxième partie du Nymphaeum.
Bibliographie
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Sur cette université et son importance pour la Suisse catholique, notamment pour les bénédictins, voir L. Holzfurtner, «Dillingen an der Donau», Dictionnaire historique de la Suisse, version online du 12.04.2005. https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/006586/2005-04-12/.
On désignait par Cadi (de Casa Dei, «maison de Dieu») le domaine de l’abbaye de Disentis dans la vallée du Rhin antérieur. Depuis 1401, la juridiction exerçait le bailliage sur l’abbaye. Voir à ce sujet A. Collenberg, «Cadi», Dictionnaire historique de la Suisse, version online du 23.03.2016, https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/019352/2016-03-23/. Stöcklin soulignait l’indépendance de l’abbaye (par exemple le droit de choisir librement son abbé); voir à ce sujet Müller (1950), p. 219-220.