Le lac du Pilate et la ville de Saint-Gall
Traduction (Français)
Le lac du Pilate
J’aimerais rapporter ce qui suit: lors de l’ascension, le berger qui nous servait de guide nous força presque à jurer que nous ne commettrions pas d’imprudence au moment où nous verrions le lac ou que nous n’y jetterions rien. Il affirmait que sa vie était en jeu, et à nouveau il réclama de nous de la retenue, et même le silence, comme s’il nous conduisait à un office religieux. Je l’avoue, je fus considérablement impressionné par cette circonstance – je faisais là une concession à l’ancienne rumeur concernant ce lieu. Pourtant, il est bien établi, le caractère fabuleux de ce que certains ont rêvé à propos de Pilate; ils affirment qu’on peut le voir chaque année (le vendredi précédant la fête de Pâques) sur le lac, habillé en juge, semble-t-il, et que ceux qui l’ont vu ne peuvent survivre à l’année; mais ce n’est qu’un grand mensonge! Et de fait, la légèreté des mortels est telle que, lorsque des lieux de la nature sont illustres en raison de quelque divinité, ils leur attribuent des fables trompeuses; et même, par une disposition de la nature dont j’ignore le fonctionnement, ils n’ont aucune peine à croire ce qu’ils entendent, car quelque force religieuse nous y attire et le désir de nouveautés nous amène aussi à y croire. Mais est-elle vraie, ou non, la rumeur constamment répandue par les habitants à propos du célèbre génie du lac? Même aujourd’hui, je ne saurais le dire, puisqu’il ne m’a pas été permis de l’expérimenter; et même s’il cela m’avait été permis, je n’aurais pas pu le faire sans courir un grand danger. Mais les prodiges extraordinaires de la nature dans presque toutes ses facettes, découverts et confirmés par l’expérience et l’autorité d’un grand nombre de personnes, me poussent à croire que tout cela est vrai, ou du moins presque tout; dois-je encore ajouter que le génie du lieu m’a paru tel que, surtout dans un lieu aussi élevé, il peut facilement paraître conforme à la croyance qui est née à son sujet? Car c’est une montagne si haute que, partis à l’aube pour aller voir le lac puis le sommet de la montagne, et revenus vers les chevaux plus tard que prévu après une longue descente, nous entrâmes dans la ville à la tombée de la nuit, après le coucher du soleil, non sans avoir pris tout au plus deux heures pour manger en pleine montagne.
La ville de Saint-Gall
Depuis la rive de l’Aach en direction de l’ouest, à plus ou moins huit mille pas, dans une région montagneuse ni entièrement boisée ni complètement stérile, se trouve la ville impériale de Saint-Gall avec un monastère de l’ordre de saint Benoît, ville autrefois célèbre pour son vénérable enseignement et sa sainteté remarquable; aujourd’hui elle est prospère et, comme ses efforts sont tournés vers l’acquisition des richesses, elle se distingue par l’étendue de son pouvoir. Un certain Gallus parti d’Écosse en fut le fondateur, un homme dont la vie était si sainte qu’il est connu tant pour son mépris de tout bien matériel que pour son généreux vœu de pauvreté; il y a presque neuf cents ans, ayant quitté la très ancienne ville de Brégence, comme il était parti dans la montagne pour chercher la solitude, dans un lieu auparavant désert et effrayant en raison des bêtes sauvages et de l’inhospitalité de ses forêts, après avoir jeté de frêles fondations (tant sont modestes, d’ordinaire, les débuts des grandes choses!), sans le savoir et sans le vouloir il plaça sous les meilleurs auspices le début de cette ville célèbre entre toutes. C’est notre douce patrie, c’est la nourrice bienveillante et généreuse de la famille des De Watt depuis plus d’un siècle. Je suis donc redevable à une telle nourrice, tant pour la réputation de ma famille que pour ce que je lui dois à titre privé. En effet, à quel être qui ne soit ni ingrat ni infâme le spectacle de sa patrie ne serait-il pas agréable? À qui le sol natal n’est-il pas doux? Et cela surtout parce qu’elle nous engendre, nous éduque. Mais pour qu’on n’aille pas penser que c’est davantage l’amour pour la patrie que le souci de la vérité qui me pousse à raconter plusieurs choses à son sujet, j’ai décidé de m’abstenir entièrement de tout éloge à cet endroit. Dans un autre ouvrage je me suis efforcé (et je m’y efforcerai à l’avenir là où je pourrai) d’éviter qu’on puisse me reprocher d’avoir été en quelque manière ingrat envers ma patrie. Et si je ne parle pas de la situation favorable du lieu due aux montagnes, aux cours d’eau, à la très précieuse salubrité de l’air et au courant qui y abonde sans nuire, si je ne parle pas de la piété des citoyens, de la sagesse, de l’équité, de l’humanité, de la gestion de la guerre et de la paix autant qu’ils le méritent, si je ne parle pas ensuite comme elles le méritent des études très estimées et des entreprises commerciales célèbres dans toute l’Europe, la postérité me pardonnera, car j’ai été le premier à oser présenter ces choses, puisque pour les grandes entreprises, comme dit Properce, il suffit aussi de les avoir voulues. Et la plupart de ceux qui viendront après moi à d’autres époques, guidés par mon audace, produiront peut-être de meilleures choses. J’espère compter parmi leur nombre Melchior de Watt, mon frère, un jeune homme qui déjà maintenant est pourvu d’un tel talent que j’oserais me promettre que, pourvu qu’un bon génie le guide dans sa vie, il compilera tout ce que mes forces occupées à des études diverses n’auront pas achevé de publier.