De Republica Helvetiorum

Josias Simler

Introduction: David Amherdt, avec la collaboration de Daniel Stucki et Mika Sidler (deutsche Übersetzung: Clemens Schlip unter Verwendung originär deutscher Textpartien von Daniel Stucki). Version: 12.12.2023.


Date de composition: terminus ad quem: publication du De Republica en 1576.

Édition: J. Simler, De Republica Helvetiorum libri duo, Zurich, Froschauer, 1576, p. 1r°-2v°; 67vo-68vo; 121ro-122vo; 209vo-211ro (= *1vo-*3vo); Zurich, Orell, 1734, p. 1-4;106-109; 193-196; 255-258.

Traductions: J. Simler, Regiment gemeiner loblicher Eydgnoschafft, Zurich, [Froschauer], 1576; J. Simler, La république des Suisses, Genève, A. Chuppin et F. Le Preux, 1577; J. Simler, La confederazione svizzera. De Republica Helvetiorum, éd. C. Carena et P. Ostinelli, intr. G. Broggini, Locarno, Armando Dadò Editore, 1999.

 

[Remarque : le deuxième texte présenté ci-dessous, sur l’histoire de Fribourg, a été étudié lors du séminaire « Vers une anthologie des prosateurs suisses de la Renaissance » dirigé par David Amherdt à l’Université de Fribourg au semestre de printemps 2023. Nous avons repris, avec quelques modifications, les apports de Daniel Stucki et Mika Sidler à l’étude de ce texte.]

 

Face au «modèle monarchique du prince détenteur d’une puissance indivisible et absolue», théorisé et défendu en particulier, à la même époque, par Jean Bodin, dont l’ouvrage, Les six livres de la République, paraît la même année que le De Republica, Josias Simler, dans ce dernier ouvrage (qui est aussi son dernier), lance «un vibrant plaidoyer pour le modèle de gouvernement choisi par ses compatriotes». Comme on peut le lire dans l’épître dédicatoire et au début du premier livre (voir notre texte 1), Simler cherche à défendre la réputation de la Confédération et à répondre aux critiques des défenseurs du modèle monarchique, qui mettent en doute l’unité de cette Confédération composée de cantons dotés de leurs propres institutions, parfois très différentes les unes des autres, et dirigés par une Diète fédérale qui, selon eux, peinerait à défendre une politique commune.

Dans l’épître dédicatoire, adressée aux magistrats et au Conseil de Saint-Gall, Simler place la Confédération suisse «dans le sillage des idéaux politiques de Sparte et Athènes et en fait la concrétisation des idéaux politiques de Cicéron, Platon et Aristote», chers aussi aux humanistes. Il insiste également sur le fait que le gouvernement helvétique, «ancrant la souveraineté dans la communauté, est la forme la plus agréable à Dieu, car elle reprend le principe de l’ecclesia instituée dans la Bible».

Le De Republica est divisé en deux parties. Le livre I expose l’histoire des cantons et de leur alliance, et le livre II présente la structure et l’organisation politique de la Confédération et des cantons.

Le premier livre commence par trois pages d’introduction (texte 1) où Simler présente son livre comme une réponse aux questions et aux critiques formulées par les étrangers à propos de l’organisation de la Confédération. La question principale est la suivante: comment est-il possible qu’un si grand nombre de cantons organisés de manière si différente les uns des autres puissent ainsi former une seule cité (civitas) ou une seule république (respublica), et de surcroît durable – et Simler de souligner le caractère éphémère des cités ou républiques antérieures, que ce soit celles des Athéniens, des Achéens, des Israélites ou encore, plus récemment, la Ligue de Souabe? La critique principale découle de cette interrogation et consiste à dire que cette union de gouvernement est impossible. Le but de Simler est alors précisément de montrer que «puisqu’il y a un seul conseil pour tout le peuple, que l’administration de la plupart des régions sujettes est commune, qu’ils décident tous ensemble de la paix et de la guerre, et qu’en outre ils ont des lois et des coutumes qui sont presque identiques et qu’ils sont [très] étroitement liés par des alliances perpétuelles», il s’agit bien d’une république une, et que l’on peut appeler cette union «cité de l’alliance helvétique et république des Helvètes». Un autre but est de répondre à la critique selon laquelle les Suisses haïraient la noblesse qu’ils auraient chassée ou exterminée ou que, s’ils avaient des raisons de s’y opposer, ils ont dépassé la mesure.

Simler, dans une perspective historique et en grand détail, décrit ensuite l’origine de la Confédération, qui comptait en son temps treize cantons, puis les divers rapports (alliances, domination) des cantons eux-mêmes avec les régions alentour. Il fait d’abord l’histoire des treize cantons, puis celle des pays alliés, puis celle des pays sujets ou bailliages communs. Il est ensuite question des alliances des Suisses avec le duché de Milan, l’Autriche, la Bourgogne, la Savoie et la France.

Simler explique en particulier les raisons qui poussèrent les cantons à s’allier entre eux, en particulier l’arbitraire des princes; il s’agissait de défendre les libertés octroyées aux Suisses par l’Empereur au Moyen Âge. Comme l’affirme Flückiger (2018): «L’invocation de l’Empereur vise à donner une caution forte à ce que nombre de princes dénonçaient au Moyen Âge comme une rébellion, et sublime les alliances helvétiques en acte de sauvegarde de la volonté impériale». Même si les cantons continuaient d’appartenir au Saint-Empire (ce n’est qu’en 1648, lors de la paix de Westphalie, que les Confédérés, obtinrent leur «exemption» de l’Empire), la Confédération devint de facto autonome, «après le traité de Bâle, signé en 1499, qui dispense les cantons de l’impôt impérial et de la participation aux Diètes». Simler présente la «Confédération comme une entité politique qui, si elle n’est pas encore un État, se prévaut cependant d’une unité fondée dans les valeurs communes aux cantons».

Dans le deuxième livre du De Republica, Simler décrit le fonctionnement des institutions cantonales et de la Diète fédérale. Il commence par décrire cette dernière, en insistant sur le fait que, grâce à elle, la Confédération est un tout cohérent (une respublica) «qui ne saurait être réduit à la somme de ses composants».

Il décrit ensuite les institutions des premiers cantons, les cantons-campagnes, en particulier la Landsgemeinde (l’assemblée de tous les citoyens jouissant du droit de vote, donc pleinement démocratique), puis celles des cantons-villes, dans lesquels l’exercice de la politique est réservé à une élite fortunée. Simler montre que malgré ces différences profondes entrent les cantons (il ne se prononce d’ailleurs en faveur d’aucune de ces deux formes de gouvernement), ceux-ci «s’accordent tous sur la nécessité de confier la gestion des affaires publiques à des conseils renonçant à leurs intérêts propres pour servir le bien commun».

Simler décrit enfin l’organisation politique des pays alliés (abbaye de Saint-Gall, ville de Saint-Gall, Grisons, Valais, Bienne), puis des pays sujets (Baden, Thurgovie, Sargans, Rheintal, excursus sur l’administration des barons de Sax-Hohensax dans les Grisons, bailliages italiens).

En fin de compte, Simler veut montrer «que les aspirations des cantons à se gouverner eux-mêmes sont légitimes et que leurs alliances n’ont rien de séditieux». Pour lui, la Confédération est «une entité où la recherche du bien commun est l’aspiration ultime de tous, et où la sagesse du nombre et le respect des lois naturelles préservent les cantons des formes dépravées de gouvernement. Le partage d’un éthos politique fondé sur la décision collective ainsi que la défense des libertés créent […] une respublica commune englobant les cantons, constamment réactualisée dans les réunions de la Diète et perpétuée dans les traités».

La fortune du De Republica fut considérable. Il fut immédiatement traduit en allemand (1576), puis en français (1577) par Simon Goulart, plus tard en hollandais (1613), et à de nombreuses reprises réédité (en 1734, vingt-huit éditions avaient été publiées).

Dans le premier texte, nous présentons les premières pages du livre I, où Simler explique le but qui est le sien dans le De Republica: répondre aux interrogations et aux critiques des étrangers sur le système de gouvernement des Suisses. Rapportant les paroles de ceux qui s’étonnent de ce qu’un si grand nombre de peuples ou cantons aient pu grandir si rapidement et demeurer en paix si longtemps, contrairement à nombre de «républiques» du passé (des Israélites à la ligue du Souabe), Simler montre que malgré la multiplicité des cantons et la diversité de leur organisation politique, la Suisse, notamment grâce à son gouvernement central (la Diète), qui décide en particulier de la paix et de la guerre, est une république une, qui, malgré les aléas de l’histoire, est toujours parvenue, depuis plus de deux cents ans, à conserver son unité. Il aborde enfin brièvement une question qu’il traite en détail ailleurs, celle de la critique de ceux qui affirment que les Suisses ont acquis injustement et cruellement leur indépendance aux dépens des nobles. Après ce passage théorique, Simler énumère les différentes parties de la Suisse puis se lance dans la description de son histoire.

Dans le deuxième texte, nous présentons le passage traitant de l’histoire de la ville et du canton de Fribourg depuis sa fondation jusqu’à son entrée dans la Confédération. Simler choisit un certain nombre d’événements de l’histoire de Fribourg qu’il juge capitaux et dresse un bref résumé de trois cents ans d’histoire. Le caractère anti-habsbourgeois et probernois y est particulièrement notable. Les Fribourgeois y sont dépeints, pour la plupart d’entre eux, comme des amis ou frères des Bernois, forcés presque contre leur volonté de combattre contre ces derniers sur ordre de leurs souverains successifs. Simler fait ainsi état de certaines batailles ayant eu lieu entre ces deux cités sœurs à l’époque de la domination des Habsbourg. Leur entrée dans la Confédération y est présentée comme une libération qui permet une réconciliation réellement durable avec les Bernois. Simler profite d’ailleurs de narrer, juste avant de mentionner l’entrée de Fribourg dans la Confédération, un épisode pittoresque illustrant la domination cruelle et injuste des Habsbourg.

La source principale utilisée par Simler est le Gemeiner loblicher Eydgnoschafft Stetten, Landen und Völckeren Chronick wirdiger Thaaten beschreybung du Zurichois Johannes Stumpf. Celui-ci était un collaborateur de Huldrych Zwingli, qu’il accompagna à la Dispute de Berne. À partir de 1543, il fut pasteur à Stammheim et devint en 1548 doyen du chapitre de Stein am Rhein. C’est au cours de ces années (1547/1548) qu’il rédigea son ouvrage, qui relate l’histoire de la Suisse depuis l’époque des Helvètes jusqu’à la Réforme. À travers cette œuvre, Stumpf voulait montrer l’unité et la force de la Suisse d’autrefois pour l’opposer aux divisions contemporaines et au risque d’affaiblissement qui en résultait. Les tendances anti-habsbourgeoises de l’ouvrage conduisirent à l’interdiction et à l’émission d’un mandat d’arrêt contre l’auteur et l’éditeur par l’empereur Charles Quint. Enfin, Stumpf voulait également démontrer que la Suisse n’était pas une conséquence d’une série de révolutions. Simler, quant à lui, rédigea «[...] un résumé [de l’ouvrage de Stumpf] à des fins pédagogiques [...]»; il voulait, entre autres, réfuter les calomnies selon lesquelles la noblesse suisse aurait été exterminée, entraînant le règne de l’anarchie. Plusieurs passages du chapitre sur Fribourg (texte 2) montrent que Simler s’est inspiré directement de Stumpf; ainsi, certaines phrases sont des traductions directes ou très proches de Stumpf ou présentent une structure similaire ou identique. Enfin, on constate d’une part que Simler couvre les mêmes événements historiques que Stumpf, à quelques exceptions près, et d’autre part qu’il reprend la plupart du temps le style narratif plutôt sobre de ce dernier.

Notre troisième texte est le début du livre II. Rappelant la matière traitée dans le livre I, Simler expose celle du livre II: décrire la forme et l’organisation de la Confédération; il s’agira d’abord de décrire l’organisation centrale, puis celle de chacun des cantons. Simler explique ensuite que la Suisse ne correspond à aucune des trois formes traditionnelles de républiques que sont le pouvoir des rois, le pouvoir des nobles et le pouvoir du peuple (avec leurs formes corrompues, que sont la tyrannie, l’oligarchie et le pouvoir populaire anarchique). La république des Suisses est une république mixte, un mélange entre le pouvoir des nobles (en particulier à Zurich, Berne, etc.) et celui du peuple (Uri, Schwyz, etc.). Simler explique notamment que même les cantons qui paraissent être régis par les nobles seulement sont en réalité mixtes, car le mandat de la plupart des dirigeants leur est conféré par le peuple, au vote duquel ils sont finalement soumis. Simler ajoute que c’est grâce à l’effort de l’ensemble du peuple que les ancêtres se sont libérés de leur servitude: il mérite donc bien d’être récompensé de ses efforts!

Le quatrième texte présente, à titre d’exemple, l’organisation politique et judiciaire d’un canton, celui de Fribourg. Il n’y a pas lieu d’entrer ici dans les détails de cette organisation, qui a été suffisamment décrite ailleurs. La particularité de ce passage est qu’il ne figure pas dans le corps du texte de la première édition latine (1576), mais dans ses Emendanda et addenda, avec l’explication suivante de Simler:

Cum respublicas urbium quae tribubus carent describerem, Friburgensis reipublicae descriptionem nondum nactus eram, quam postea amplissimus eius urbis consul ad nos misit, et nos in Germanica editione singula ordine posuimus, hoc etiam loco sequens descriptio inferi potest.

Alors que je décrivais les républiques dépourvues de corporations, je n’avais pas encore trouvé la description de la république de Fribourg, que m’envoya par la suite le très honorable avoyer de cette ville; dans l’édition allemande, j’ai introduit chaque passage à la place qui lui revenait; la description qui suit peut aussi être insérée ici.

Et de fait, dans l’édition allemande, ce passage sur Fribourg n’est pas reproduit tel quel, mais les différentes informations qu’il contient sont distribuées çà et là dans le chapitre concernant l’organisation politique de Berne, Lucerne, Fribourg et Soleure (fol. 194ro-209vo). Dans la traduction française, en revanche, il figure tel quel aux p. 444-449, à la fin du chapitre concernant Berne, Lucerne, Fribourg et Soleure (p. 428-449); il en va de même dans l’édition latine de 1734, où il se trouve aux p. 255-258 (le chapitre entier occupant les p. 245-258). Ce passage est ainsi particulièrement intéressant en ce que Simler ne s’est pas inspiré de diverses chroniques ou ouvrages, mais semble avoir repris directement la description d’un acteur de la vie politique de Fribourg, qui la connaissait donc parfaitement. Néanmoins, cette description ne semble pas tout à fait complète, l’avoyer ayant par exemple omis de parler du Conseil des Soixante.

Remarque sur les termes Respublica et Civitas

En français, nous avons choisi de traduire systématiquement respublica par «république», et civitas par «cité», la respublica désignant d’une manière générale la «chose publique» (ou ce qui a trait au bien commun), les affaires civiles, le pouvoir civil (et, par suite, la république, l’État, voire la nation), tandis que la civitas désigne l’ensemble ou la communauté des citoyens, le corps politique, qui peut être constitué d’une ville ou de plusieurs villes et de leur territoire (et, dans ce sens, on pourrait aussi parfois traduire civitas par «État»); on peut aussi désigner la respublica comme la sphère politique d’une communauté autonome, la civitas.

 

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