Lettre à Jost Brunner
Traduction (Français)
Traduction: David Amherdt (notes originales en allemand: Clemens Schlip)
Oswald Myconius de Lucerne salue son cher Jost Brunner.
Tu as raison, mon cher Brunner, de demander, afin qu’il soit réimprimé, un exemplaire de ce discours qui fut prononcé à Rome l’année dernière par le très révérend père Johannes Augustanus Faber lors des funérailles de Kaspar von Silenen, chevalier de l’éperon d’or et chef de ces Suisses qui forment la garde spéciale du souverain pontife Léon X; ce discours contient en effet un éloge des Suisses (auxquels nous devons tous deux tout ce qui est en nous) tel que jusqu’ici tu n’en as jamais vu de semblable en langue latine. Ils sont loués en premier lieu pour leur sagacité, leur courage et leur justice. Et ce de façon élégante aussi bien que conforme à la vérité. Cela apparaîtra de manière évidente à quiconque contemple les exploits réalisés avec bravoure par les Suisses depuis cent cinquante ans et jusqu’à nos jours. Et en vérité, au milieu de si nombreuses et si terribles batailles, il est impossible de trouver (et je pense qu’il faut le relever de manière particulière) un seul ennemi qui ait jamais été provoqué à la guerre par les Suisses. Il en ressort clairement qu’ils n’ont pu mener que des guerres très justes, lorsqu’ils étaient contraints de se défendre eux-mêmes, ainsi que les leurs et leur patrie. Ensuite il faut aussi voir avec quelle petite troupe ils ont souvent mis en déroute des forces militaires si considérables, car il n’est personne qui n’ait vu ou entendu que les armées adverses étaient d’une part mieux équipées, d’autre part certainement deux fois plus grandes que celles des Suisses. Il est certain qu’il est arrivé plus d’une fois aux Suisses de devoir combattre à un contre dix (il suffit de bien comparer le nombre de soldats des deux armées); ils ont néanmoins remporté la victoire. Dans ces circonstances, combien il leur était nécessaire de faire preuve de courage, de droiture, d’esprit de concorde et de sagacité, personne, je pense, ne peut le passer sous silence. D’autre part, si ce fameux Faber, avec l’érudition et l’éloquence qui sont les siennes, avait en outre évoqué la droiture de ce peuple, sa simplicité, sa bravoure toute chrétienne, le sens de l’hospitalité qui lui est si propre, sa modération, ainsi que sa miséricorde envers les vaincus, et mille autres choses de ce genre, que penses-tu que les Suisses lui devraient? Au vrai, on peut dire qu’ils lui doivent déjà beaucoup ainsi! Il me semble qu’il n’est pas sans importance qu’un Souabe fasse si magnifiquement l’éloge des Suisses; car entre Souabes et Suisses, depuis déjà tant d’années, se sont élevées, malheureusement!, tant de querelles, tant d’inimitiés, tant de guerres très graves. Je me réjouis par-devers moi, mon cher Brunner, toutes les fois qu’il me vient à l’esprit que c’est un Souabe, non un Suisse, qui a ainsi fait leur éloge. En effet, de cette manière, aucun individu d’aucune sorte ne pourra à la légère se lever et crier que c’est un acte indigne pour un Suisse de porter aux nues les siens en exagérant leur mérite et de leur attribuer des qualités aussi totalement éloignées de la vérité que les eaux de Merrha le sont de celles de Siloé. Grâce à ce discours, il apparaît de manière éclatante combien de splendeur et de forces la vérité continue à avoir auprès des gens de bien et des savants véritables. En tout cas, il ne faut pas la faire disparaître sous prétexte qu’elle nous est défavorable (c’est ce que l’on fait très souvent), mais il faut considérer qu’elle ne peut pas devenir autre chose que ce qu’elle est. Jusqu’ici, on a dénigré les Suisses et on s’est moqué d’eux de manière excessive, mais en quoi les éloges et la gloire qui leur sont dus ont-ils pour autant diminué? En effet, cela ne rime à rien de critiquer quelqu’un dont la vertu est connue même des chassieux et des coiffeurs, comme on dit; il en résulte uniquement que l’on se fait passer pour un jaloux. Mais ceux qui jusqu’ici se sont délectés de telles sottises ont sans doute estimé que la Suisse n’avait personne pour leur tenir tête, mais, par Hercule, ils se sont très lourdement trompés, car chez nous les grands talents étaient alors sous l’enclume, et aujourd’hui ils sont polis, et bientôt ils apparaîtront au grand jour. Au vrai, si alors les bavards de ce genre continuent comme ils ont commencé, il ne fait pas de doute qu’ils devront se retirer là où nul dieu, excepté Harpocrate, ne pourra leur venir en aide. Mais où me laissé-je emporter? Car je ne voulais pas répandre ces bavardages. Toi, reçois ce que tu m’as demandé. Porte-toi bien; de Zurich, le 1er août 1518.