Les index des livres, 2e partie

Traduction (Français)

Il est admis depuis peu, soit depuis l’invention vraiment divine de l’imprimerie, que la compilation de riches index dans un ordre alphabétique rigoureux, surtout pour les ouvrages les plus volumineux, est de la plus grande utilité pour l’étude des lettres; et cela a rencontré une telle approbation, que ce sont les livres mêmes auxquels on a ajouté un index que la plupart des lettrés (du moins tous ceux qui ont en vue l’utilité plutôt que la beauté) préfèrent non sans raison à d’autres livres, aussi élégants soient-ils et quel que soit l’endroit où ils ont été imprimés. Dans ce domaine je loue le zèle des Allemands, qui leur permet de surpasser de loin les Français, les Italiens et les Espagnols. Ceux-ci ont en effet publié un très grand nombre de livres sans index, très peu en y ajoutant des index, mais trop brefs. À ceux qui vivent une existence si brève et se consacrent à tant d’études différentes, les index des livres me paraissent vraiment nécessaires, tout autant qu’un hermès dans un carrefour, soit pour se souvenir de ce qu’on a lu, soit avant tout pour découvrir quelque chose de nouveau. En effet, la négligence de certains qui comptent sur les index, les inventaires, les registres et les perles (ils les appellent ainsi à cause de leur remarquable utilité), et qui ne lisent pas les œuvres en entier, dans l’ordre et méthodiquement, ne diminue en rien les mérites de ces outils; car nulle part l’excellence et l’utilité des choses ne sont diminuées ou rabaissées à cause de l’usage abusif qu’en font les hommes ignorants et malhonnêtes.

Voici donc la méthode qui permet de réaliser des index en très peu de temps et selon le meilleur arrangement possible. Tous les éléments qu’on veut reporter dans l’index, dès qu’ils se présentent, on les copie dans n’importe quel ordre sur une feuille, d’un côté seulement, de manière à laisser l’autre vierge. Pour tout sujet ou phrase distincte, il faut commencer une nouvelle ligne. Et si le terme dont on suit la lettre initiale, la signification ou le sujet lors du tri, est au début d’une phrase où il y a plusieurs mots (ce n’est en effet pas nécessaire lorsqu’il n’y en a qu’un), tout va bien; si ce n’est pas le cas, il faut le mettre en évidence lors de la transcription par une lettre majuscule ou n’importe quel autre signe, par exemple en le soulignant à l’encre noire ou d’une autre façon pour éviter qu’ensuite une confusion naisse lors du classement. Enfin on découpera aux ciseaux tout ce qui a été copié, on répartira ce qui a été découpé dans l’ordre voulu, d’abord dans des sections plus grandes qu’on subdivisera ensuite une fois ou deux, ou autant de fois que nécessaire. Certains découpent tout et classent à la fin; d’autres effectuent aussitôt une première division pendant le découpage: saisissant par la pointe des ciseaux chaque fiche à la fin du découpage, ils les répartissent à divers endroits de la table ou dans des coupelles disposées sur la table. Lorsque les fiches sont très nombreuses, je recommanderais de les subdiviser plus fréquemment; car ainsi tout sera exécuté plus facilement et avec moins de confusion, et on n’aura pas à déplacer autant de fois les fiches pour faire de la place aux autres en fonction de l’ordre adopté; c’est préférable que de s’efforcer de tout mettre aussitôt dans le bon ordre et avec le dernier soin lors de la première ou de la deuxième division. Quand on veut entreprendre la première subdivision de la première partie, il faut placer à part toutes les fiches dans un récipient ou entre les pages des livres, et ainsi en subdivisant la première partie, la disposer dans l’ordre voulu; et une fois cette partie ordonnée, soit la copier si nécessaire, soit, si la première copie est assez convenable, ce qui serait préférable, simplement la coller avec de la glu de farine; si on n’y mêle aucune colle à bois ou colle d’artisan, on la détachera ou la retirera plus facilement en l’humectant avec de l’eau, s’il y a une erreur quelque part ou si on songe à en faire un autre usage dans un nouvel ordre; pour cette raison, certains préfèrent appliquer la colle sur un côté de la feuille seulement, de manière à pouvoir de nouveau en séparer les fiches au moment voulu.

[…]

Je peux assurément en témoigner: je connais des hommes savants qui appliquent ce système avantageux de division à presque toutes leurs études et qui, soit qu’ils doivent écrire quelque chose en y recourant, soit qu’ils doivent donner une leçon publique, classent de cette manière la matière brute amassée pour leur discours; soit qu’ils ont accumulé cette matière récemment, soit qu’ils conservent pour leur usage une matière acquise autrefois sur des fiches triées par passage et non collées, si bien qu’en cas de besoin, pour traiter de n’importe quel sujet ils puisent et choisissent dans les nombreuses fiches celles qui à ce moment-là semblent correspondre le mieux à leur projet; ils les fixent avec des épingles et les classent à leur manière pour arranger les parties du discours comme ils l’ont voulu; ils copient celles qui leur paraissent pertinentes, les utilisent selon leur bon vouloir et les remettent de nouveau à leur place. La matière est collectée en partie en copiant ce qu’on a pu observer peu à peu lors de la lecture, en partie en découpant les lieux communs des auteurs ou d’autres livres; pour ce faire il faut deux exemplaires: sur le premier, on biffe à l’encre noire ou rouge le recto du folio, sur l’autre, le dos du folio, de manière à refaire en quelque sorte un seul exemplaire à partir de deux. On pourra employer cette méthode pour s’économiser beaucoup d’efforts et tirer divers partis de ses études. Mais en voilà assez, j’en ai dit plus que prévu. Ce qui m’a poussé à faire cette digression, c’est l’utilité remarquable de cette méthode et le fait que personne, sinon un expert, n’aurait pu aisément en estimer l’importance. Non seulement, en effet, on gagne ainsi du temps, on s’épargne la fatigue et l’ennui d’écrire (d’autant qu’on peut se faire aider de deux autres personnes ou même plus en même temps pour toutes les étapes, c’est-à-dire copier, trier et coller les fiches), mais c’est une méthode presque indispensable pour ordonner les sujets et les mots avec le plus de soin possible. La pratique même est la véritable maîtresse de l’art, et elle enseignera à bien utiliser les méthodes dont nous avons parlé et à en trouver de nouvelles. À présent, retournons là d’où nous avons digressé.

Certains index copieux et dignes d’être mentionnés (je passe en effet sur les index de moindre importance, qui sont presque innombrables et moins utiles) concernent des genres d’études bien précis, comme celui qu’a réalisé dernièrement et avec un très grand soin l’excellent et très savant philosophe d’heureuse mémoire, Hieronymus Gemuseus, sur les œuvres latines complètes de Galien, index qu’a publié l’officine Froben à Bâle. Les juristes ont aussi leurs nombreuses et très importantes perles, les théologiens leurs concordances et d’autres index dont nous parlerons en leur lieu; pour le moment, nous en citerons seulement quelques-uns qui se présentent. Il n’y a en effet presque aucun livre qui ne contienne des choses variées, soit que le sujet s’y prête par ses liens étroits avec de nombreuses disciplines et études, soit à cause de l’incompétence des auteurs. En effet, Aristote et les plus savants des philosophes antiques ne mêlent presque rien d’étranger à la science qu’ils professent ouvertement, mais se maintiennent le plus possible dans les limites de celle-ci; beaucoup d’auteurs plus récents et plus incompétents passent sans réfléchir d’un genre à l’autre: il en résulte une grande confusion, une perte de temps et une difficulté à apprendre, et tout le profit de la méthode se perd. D’autres index, qui devraient être énumérés ici en priorité, concernent les grammairiens, les philologues et les auteurs de sujets variés.

[…]

Conrad Pellican, notre maître, un homme très méticuleux et très cultivé en matière de littérature, surtout sacrée, a élaboré à Bâle les index à Tertullien, Hilaire, l’Histoire ecclésiastique tripartite, les œuvres complètes de Jérôme, et un triple index à l’Histoire naturelle de Pline. Et chez nous, il a fait de même pour l’Ancien et le Nouveau Testament en tenant compte du sujet plutôt que des mots, et aussi pour certains autres livres. Le franciscain Florent Bourgoin de Paris a remarquablement enrichi l’index de toutes les sentences de saint Augustin. Un index très copieux est ajouté à l’édition des œuvres de saint Augustin par Froben, comme à la plupart des autres livres publiés par cette officine; il me vient maintenant à l’esprit celui que la même officine a produit sur les commentaires d’Antonio Musa Brasavola aux Aphorismes d’Hippocrate, et aussi sur l’Histoire des plantes de Jean Ruel.

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Je vais maintenant montrer la manière de préparer les index dans les bibliothèques privées ou publiques, même grandes, en suivant l’exemple du sieur Conrad Pellican, mon maître, qui a suivi la même méthode quand il a organisé la bibliothèque publique de Zurich.

D’abord, les livres qui se trouveront dans la bibliothèque doivent être disposés par ordre de grandeur sur les étagères, les tables ou les pupitres, et un numéro doit être inscrit sur chacun d’eux en noir. Et puisque les choses deviennent claires lorsqu’on donne un exemple, expliquons tout plus clairement en présentant quelques livres; car la méthode sera la même, qu’il y ait peu ou beaucoup de livres. Les livres doivent donc se trouver dans la bibliothèque, les uns en grand format, auxquels nous attribuerons ici la lettre M pour les besoins de la démonstration (imaginons en effet qu’ils ont ce type de grandeur et portent ce type de noms), les autres en petit format, qui seront désignés par la lettre P. Après les avoir disposés selon leur format, on leur assignera les numéros d’une première classification, de cette manière:

Catulle, M. I.

Tibulle, M. II.

Bède, M. III.

Aulu-Gelle, M. IIII.

Julius, M. V.

Pollux, M. VI.

Caton, P. VII.

Galien, P. VIII.

Hippocrate, P. IX.

Denys, P. X.

Musa, P. XI.

[…]