Livre des prodiges

Traduction (Français)

Traduction: David Amherdt (notes originales en allemand: Clemens Schlip)


Épître dédicatoire

Fol. a2ro

Aux très nobles, illustres et très diligents sieurs Bernhard Meyer, Theodor Brand, bourgmestres de la noble et très distinguée République de Bâle, ainsi qu’aux prévôts de corporations Caspar Krug et Franz Oberried et à tout le très auguste ordre des conseillers, ses maîtres et pères très honorables, Conrad Lycosthenes de Ruffach adresse salut et paix dans le Seigneur.

Dans les Saintes Écritures, on trouve en de nombreux endroits des témoignages saillants de la bienveillance en même temps que de la colère divine à l’égard du genre humain, pères très distingués, par lesquels l’architecte suprême de l’univers, le Dieu qui dirige et sauve, appelle à lui son peuple et promet sa bénédiction à ceux qui aiment sa loi, en leur proposant des récompenses, mais menace les impies et les contempteurs de sa colère, de sa vengeance et de sa malédiction. C’est pourquoi, après avoir remis les Tables de la loi divine, il déclare: «Je suis ton Seigneur et ton Dieu puissant et jaloux, je traque l’iniquité des pères chez leurs fils, jusqu’à la troisième et quatrième génération de ceux qui me haïssent, et je fais miséricorde jusqu’à mille générations à ceux qui gardent mes commandements». Que peut-on dire aux gens pieux qui puisse les consoler davantage, face aux fléaux que subit notre monde qui court depuis longtemps à sa perte, et qui puisse davantage réconforter ceux qui sont faibles dans la foi, que de savoir que Dieu, le Père suprême, prend soin d’eux et qu’ils sont protégés et défendus par sa bienveillance et son immense libéralité? Inversement, que peut-on dire de plus terrible aux impies, que de leur faire comprendre qu’ils sont tenus en haine par cette suprême majesté, à la vengeance et à la colère de qui ils ne sauraient échapper ?

 

Fol. a3vo-a4ro

Il m’a plu de dédier à votre sagesse, très honorables messieurs, ces terribles menaces de la colère divine contre la perversité des pécheurs, ainsi que ces authentiques signes avant-coureurs du dernier jour, en partie parce que je voulais rendre compte de quelque manière de mes loisirs et de mes études privées (auxquelles je m’adonnais parfois durant mes heures de repos, après avoir accompli mes fonctions ecclésiastiques, tandis que je m’appliquais à enseigner dans votre très florissante Académie et à annoncer la parole de Dieu dans votre église très bien administrée), ainsi que de l’accomplissement de mes obligations; en partie pour me persuader que ces fruits de mes veilles (qu’il vous sera permis de feuilleter de temps en temps lorsque vous serez libérés de vos occupations publiques), en raison de la variété et du caractère exceptionnel du sujet, ne vous sont pas désagréables. Même si on y trouve de nombreuses choses qui dépassent ce que les hommes sont susceptibles de comprendre et de croire, comme des bœufs, des serpents et des chiens qui parlent, parfois des arbres et des montagnes déplacés d’un lieu à l’autre, des grappes de raisin découvertes sur des sureaux, du blé vu sur des arbres, des femmes changées en hommes, une mer qui brûle et, sur celle-ci, quelquefois de nouvelles îles encore jamais vues auparavant, et beaucoup d’autres choses de ce genre, qui trouveront assurément bien peu de crédit chez de nombreuses personnes ignorantes de ces choses. Dieu m’en sera témoin, qui est admirable dans ses œuvres, ainsi que ma conscience qui est pure devant lui, par laquelle je peux affirmer que je n’ai rien inventé (puisque selon Cicéron la première et la plus puissante loi de l’histoire est la vérité), mais bien que je n’aie pas vécu depuis l’époque d’Adam, notre premier parent, à partir de qui j’ai commencé mon aperçu historique, j’ai cependant puisé toutes mes informations, avec la plus grande fidélité, uniquement chez des auteurs éprouvés et dignes de confiance qui ont écrit avant moi – mais pas de manière systématique – sur de tels sujets ; j’ai en outre joint un catalogue avec leurs noms. À ces informations j’ai ensuite ajouté des choses que j’ai vues de mes propres yeux à notre époque, ou dont j’ai pu m’assurer grâce à des amis en qui j’ai une entière confiance. Mais on trouvera sans aucun doute encore de nombreuses choses qui m’ont échappé et que beaucoup ignorent. Mais je suis persuadé que votre sagesse pour le moment se contentera de ce que je présente, en attendant qu’un jour l’ouvrage que j’ai commencé puisse, par la grâce de la puissance divine, être publié de manière plus élégante et avec un contenu enrichi. Entre-temps, je fatiguerai de mes prières assidues le Père éternel de notre Seigneur Jésus Christ, notre unique rédempteur et intercesseur, pour qu’il guide vos esprits par son Esprit Saint, qu’il défende votre illustre république et votre très sainte Église contre tous les pièges de Satan et du monde, que par sa bénédiction il la fasse croître et la conserve dans la paix véritable à la gloire de son nom. Portez-vous bien. De votre très florissante cité, véritable théâtre des Muses. 1557, le 1er septembre, le jour où autrefois fut inauguré chez nous le Concile, sous le pape Eugène IV et l’empereur Sigismond.

Fin.

 

p. 605-606 (1549)

Dans la région de Zurich, sous la juridiction des Kibourg, dans la paroisse de Weisslingen, dans le village de Theilingen, un garçon naquit le 26 mai, dimanche avant l’Ascension du Seigneur, vers minuit; ses parents étaient les époux Hans Walter et Bärbel Saxerin. Ce garçon fut baptisé par le curé du lieu, Henrich Messikommer, et appelé Henri. Alors qu’il n’était qu’un bébé et un petit garçon, tout le monde s’étonnait de sa croissance. En effet, alors qu’il est âgé de six ans seulement, sa taille est celle d’un adolescent de quatorze ans, et sa stature et sa corpulence dépassent celle d’un adolescent de cet âge. Sa voix est puissante et forte. Ses parties génitales ne sont pas plus petites que celle d’un homme d’environ vingt ans, et elles sont aussi hérissées de poils. Il n’a pas encore terminé sa croissance. À l’âge de cinq ans, il portait déjà de lourdes charges, comme un sac de blé de taille moyenne (que les gens de chez nous appellent boisseau; il s’agit presque du quadruple du boisseau des anciens Romains). Pour battre le grain sur l’aire, ce que les gens de chez nous font avec des perches, et pour manier la charrue, il agit pratiquement comme un homme adulte. Son intelligence est encore celle d’un enfant. La taille de ses parents ne dépasse pas la moyenne. À Zurich, presque tous les citoyens de l’époque connaissaient ce cas et un très grand nombre d’entre eux virent le garçon accompagné par son père. Le médecin zurichois Conrad Gessner également (il eut la bienveillance et la bonté de me communiquer sa description du garçon) vit chez lui le garçon lorsqu’il avait cinq ans: il l’avait fait venir pour l’envoyer chez le très illustre Ulrich Fugger, comte de Kirchberg et de Weissenhorn, afin qu’il puisse le voir (il se baignait alors dans les eaux thermales d’Argovie pour soigner sa santé); et Gessner serait prêt à témoigner publiquement de ce fait, car il sait qu’il y en a quelques-uns qui mettent en doute l’âge du garçon et la véracité de ce fait.

 

p. 626 (1553)

À Bâle, le 23 janvier, vers la huitième heure de la nuit, nous avons vu la lune entourée d’un grand cercle, qui, tel un arc-en-ciel, est restée visible durant trois heures entières. Il s’en suivit de la neige et un très grand froid.

 

p. 626-627

Le 19 juin, le Rhin, en raison de pluies diluviennes, sortit de son lit, au point de causer de grands dommages non seulement aux champs et aux campagnes, mais aussi à de très nombreuses villes construites près du fleuve. Bâle, où arrive tout le Rhin, fut, dans une certaine mesure, mise en danger: l’impétuosité du fleuve en furie atteignait pratiquement les murailles de Petit-Bâle et le marché aux poissons du Grand-Bâle; mais, dans nos régions, c’est surtout Neuenburg qui eut à pâtir de la situation. À la même époque, en raison également d’une grande inondation, Rufach en Alsace, une ville très ancienne, ma très douce patrie, fut mise en danger. En effet, comme le torrent avait lancé un assaut vers la rive sud, contre la ville, qui est entourée d’un double fossé, il fit s’écrouler et tomber dans le fossé une partie des fortifications près du couvent des franciscains. Les citoyens accoururent, mais leurs forces ne furent pas suffisantes pour retenir le terrible assaut de l’inondation; mais finalement, grâce à une singulière faveur de Dieu, l’inondation se dirigea vers l’ouest et, après avoir fait s’effondrer les murailles, trouva heureusement une issue hors de la ville. Le jour suivant, on trouva une grande quantité de poissons un peu partout dans les champs, les prés, les marais et même dans des lieux secs; il y en eut même qui prirent des poissons en ville dans les caves à vin.

 

p. 658 (1556)

En Suisse, le lundi suivant la fête de saint Gall, non loin de la ville de Winterthur, dans la Töss, on trouva, dit-on, trois pierres: sur la première était représentée la croix suisse, un glaive et une verge, et sur les deux autres une croix ainsi que les armoiries de la Bourgogne, comme si c’était la nature qui les avait ainsi gravées.

 

p. 659-660 (1556)

Dans la ville de Saint-Gall en Suisse, Peter Bessler, natif de Rotmonten et serviteur d’un citoyen habitant non loin de la ville de Saint-Gall, un jeune homme sans foi ni loi, irréfléchi et particulièrement enclin à l’ivrognerie, le dimanche qui était consacré par l’ancienne Église à la Sainte Trinité, c’est-à-dire le 21 mai, entra avec ses compagnons dans la ville de Saint-Gall, pour y prendre le repas de midi; égaré par un excès de vin (c’est ce qu’ont coutume de faire lors des repas ces hommes appartenant à la lie du peuple), il sema le trouble dans la foule, couvrit d’insultes ses camarades et finalement, après avoir adressé à Dieu des blasphèmes de toutes sortes, il ajouta encore ceci: «Si à l’avenir je sers encore mon maître, je consacre mon corps et mon âme au diable». Or, après avoir passé la nuit en ville et s’être remis au matin de son ivresse, il se souvint en partie de ce qu’il avait dit et fait le soir précédent. Mais comme il ne trouvait aucun autre moyen de gagner sa vie que de retourner aux travaux qui lui étaient imposés par son maître (et qu’il avait auparavant maudits), il sortit de la ville; non loin de la maison de son maître, un homme d’apparence effroyable, entièrement vêtu de noir, s’adressa à lui en ces termes: «Allons, mon cher je suis ici pour m’approprier légitimement ce qui m’a été consacré hier», et à ces mots, prenant par la main l’homme foudroyé par la crainte et l’horreur et rendu totalement muet, le jeta à terre et s’en fut. Peu après, des voisins trouvèrent le très malheureux jeune homme, et, comme il était paralysé des mains et des pieds, ils le conduisirent à l’hospice où, ayant perdu l’usage de tous ses membres, il passa les journées de sa vie cloué au lit, souffrant moralement autant que physiquement.

 

p. 661 (1556)

Le 4 décembre, à Bâle, un enfant de sexe masculin naquit sans oreilles, à la place desquelles il y avait seulement deux trous, qui cependant étaient bouchés, si bien qu’il ne pouvait rien entendre. Le petit garçon malade vécut néanmoins jusqu’au mois d’août, au début duquel il mourut dans de terribles douleurs.

 

p. 663

Tels sont les prodiges et les événements merveilleux, lecteur ami, qu’il m’a plu de noter, pour l’instant, en des termes aussi brefs que possible, en ajoutant à la matière que me fournissait la lecture des ouvrages historiques ce qui se produisit par la suite, afin que tu comprennes plus clairement que ces signes que sont les vicissitudes de la Fortune, les bouleversements et les catastrophes sont des véritables preuves de la colère de Dieu, et afin que chacun, rendu plus avisé et prudent par les dangers traversés par les autres, trouve une occasion supplémentaire, par la pénitence et une vie innocente, d’apaiser ce Dieu qui s’irrite contre le monde et le menace de causer sa perte. Mais nous devons aussi prier, et prier instamment, notre Seigneur éternel, Jésus-Christ, que par son intercession il apaise la colère du Père, qu’il renouvelle en nous notre cœur, qu’il augmente notre foi et qu’il conserve pour toujours son Église, qu’il a rachetée par son propre sang, de tous les mauvais desseins de Satan et de ce monde si impur. Amen.