Comment les jeunes gens de bonne naissance doivent être formés

Traduction (Français)

Traduction: David Amherdt/Kevin Bovier (notes originales en allemand: Clemens Schlip)


La préface de Ceporin

Jacob Ceporin salue les honnêtes jeunes gens.

Les jeunes chrétiens, je l’espère, estimeront beaucoup cet opuscule qui, quoique tout petit, leur est offert en guise de cadeau, puisqu’il a pour auteur Zwingli, ce grand homme dans le Christ. Ce Zwingli, de même qu’il fait tout pour que nous devenions tous enfin véritablement ce que nous sommes de nom, c’est-à-dire des chrétiens, s’efforce tout particulièrement d’attirer vers le Christ une jeunesse innocente et qui n’a pas encore été corrompue par les mauvaises passions du monde. Ainsi donc, ce petit présent, quelle qu’en soit la valeur, recevez-le avec une attitude pleine de respect, jeunes gens honnêtes; et rendez grâce au Christ, qui en est l’unique auteur, en mettant en pratique par une vie et des mœurs dignes du Christ les préceptes que vous lisez chrétiennement de vos yeux dans ce petit livre.

Portez-vous bien!

 

Extrait de l’avant-propos à Gerold Meier

[…]

Les premiers enseignements portent sur la manière dont il faut inculquer à l’esprit tendre d’un jeune homme honnête ce qui concerne Dieu.

Les deuxièmes, comment il faut lui inculquer ce qui le concerne lui-même.

Les troisièmes, comment il faut lui inculquer ce qui regarde les autres. […]

Et ici je ne me suis pas proposé de commencer au berceau, ni par les rudiments, mais à l’âge où il commence déjà à avoir du jugement et à nager sans bouée; c’est d’ailleurs l’âge qui est le tien.

J’espère que tu liras ces règles scrupuleusement et que tu les incarneras pour en montrer aux autres aussi un exemple vivant.

[…]

 

Aphorismes des enseignements de la première partie

Avant tout, bien qu’il ne relève pas des forces humaines d’entraîner le cœur de quelqu’un vers la foi en un Dieu unique (même si l’on surpassait la sagesse de Périclès par la force de persuasion), mais seulement du père céleste qui nous attire vers lui, jusqu’à présent pourtant, conformément à la parole de l’apôtre, «la foi vient de ce qu’on entend», pour peu que qu’on entende la parole du Christ; mais par Hercule, la prédication même de la parole ne serait pas si puissante si l’Esprit qui résonne au-dedans ne dispensait pas ses encouragements. C’est pourquoi, c’est par des paroles très pures, que l’on trouve fréquemment dans la bouche de Dieu, qu’il faut instiller la foi. En même temps, nous devons adresser ensemble nos prières à celui qui seul nous donne la foi, pour que lui-même illumine de son souffle celui que nous instruisons par la parole.

En outre, ce ne serait peut-être pas s’éloigner de l’enseignement du Christ que de se servir des choses visibles pour conduire à la connaissance de Dieu; par exemple en convoquant devant nos yeux toute la masse du monde et en montrant, en la désignant du doigt, que chaque chose est sujette au changement, mais qu’il faut que celui qui les a toutes réunies, bien qu’elles soient si différentes, dans une concorde si solide et si admirable, soit immuable et immobile.

En revanche, il ne faut pas non plus soupçonner celui qui a tout disposé avec une telle habileté de vouloir négliger son œuvre, alors que chez les mortels on considère comme un défaut de trop peu s’occuper de son ménage.

Notre jeune élève apprendra ainsi que la providence de Dieu veille à tout, ordonne tout, préserve tout. En effet, de deux moineaux qui ont été achetés pour un as, pas même un ne tombe à terre pour nous sans que cela n’entre dans son dessein; la providence a aussi dénombré les cheveux de notre tête, et cette préoccupation ne réduit en rien sa dignité.

Cela prouve qu’elle fixe non seulement les besoins de l’âme, mais aussi ceux du corps; car nous la voyons accueillir si généreusement les corbeaux, habiller si splendidement les lis.

[…]

De cette manière il comprendra le mystère de l’Évangile, découvrira avant tout la condition du premier homme, c’est-à-dire qu’il est mort par la mort après avoir transgressé le précepte de Dieu et qu’il a corrompu toute sa postérité par son crime. En effet, les morts ne peuvent engendrer des vivants et nous n’avons jamais vu un Éthiopien né chez les Bretons; de cette façon notre jeune élève reconnaîtra aussi sa maladie.

Ainsi, il reconnaîtra aussi, s’il le sait, que nous faisons tout selon nos passions; mais que Dieu y est tout à fait étranger. Il s’ensuit indubitablement que nous aussi devons y être tout à fait étrangers, si nous désirons habiter avec Dieu. En effet, de même que tout homme de la plus grande innocence ne fréquente pas ceux qui se conduisent scandaleusement, et qu’à l’inverse tout homme de la plus grande iniquité ne peut pas supporter un homme juste (car de même que les Néron ordonnent que les Sénèque soient emmenés [pour être exécutés], de même, à l’inverse, la même tombe recouvre les Ennius et les Scipion), de même personne d’autre n’habitera avec Dieu que celui qui s’avance sans tache et est saint comme [Dieu] lui-même est saint, et qui possède la pureté du cœur; en effet, «heureux ceux dont le cœur est pur, car ils verront Dieu».

Par quel moyen obtiendrons-nous une telle innocence, nous qui sommes encerclés de toutes parts par les passions les plus impures? Placés ici entre le marteau et l’enclume, alors que Dieu exige une telle innocence et que, soumis aux vices, nous ne pouvons pas nous distinguer autrement que par le vice, que nous le voulions ou non, nous sommes contraints de tendre les mains vers Dieu et de nous en remettre à sa grâce. C’est ici que se lève la lumière de l’Évangile.

Nous qui sommes prisonniers de nos angoisses, il nous délivre, le Christ, qui nous a bien mieux libérés qu’aucun Jupiter sauveur, redressant avant tout notre conscience très proche du désespoir et la rendant ensuite heureuse, unie à lui-même par une espérance très sûre.

 

Aphorismes des enseignements de la deuxième partie

Après que l’esprit, qui doit s’assujettir à une vertu inébranlable, a été correctement formé au travers de la foi, l’étape suivante est qu’il se pare et se prépare tout entier intérieurement; car si chez lui tout a été correctement mis en place, il sera facile pour lui de bien s’occuper des autres.

Mais il ne pourra pas mieux apprêter son esprit qu’en feuilletant la parole de Dieu jour et nuit. Or il fera cela dans de bonnes conditions s’il connaît bien l’hébreu et le grec, parce que sans le premier on peut difficilement comprendre clairement l’Ancien Testament, sans le deuxième le Nouveau.

Puisque nous avons entrepris d’instruire ceux qui sont déjà venus à bout des premiers rudiments, et que le latin s’est imposé partout chez tout le monde, nous pensons qu’il ne faut pas pour autant le négliger; car même s’il est moins utile à la compréhension des saintes Écritures que le grec et l’hébreu, il sera cependant grandement utile pour d’autres besoins de la vie. Pour des raisons pratiques, nous sommes parfois contraints de nous occuper des affaires du Christ en lisant les Latins. Mais le mauvais usage des langues en vue du profit doit être tout à fait étranger au chrétien: les langues aussi sont un don de l’Esprit divin.

Après le latin, la langue à laquelle nous devrons nous appliquer sera le grec, à cause du Nouveau Testament, comme on l’a dit; car pour dire ce que je pense sans manquer de respect à quiconque, je constate que l’enseignement du Christ, dès le début, a été traité moins dignement par les Latins que par les Grecs. C’est donc aux sources qu’il faut renvoyer notre élève.

Cependant, dans l’étude de ces deux langues, il faut veiller à ce que son cœur soit prémuni par la foi et la vertu. En effet, il y a un nombre assez important de choses qu’il peut apprendre à son détriment, tels l’impudence, le désir de commander et de faire la guerre, la roublardise, la vaine philosophie et d’autres défauts semblables; cependant, un esprit averti, à l’instar d’Ulysse, peut passer devant tous ces défauts sans subir de dommage, puisqu’il se sera lui-même mis en garde contre eux dès qu’ils ouvriront la bouche. Tu les écoutes pour t’en défier, non pour te les approprier.

Nous accordons la dernière place à l’hébreu parce que, comme on l’a dit il y a un instant, le latin est fermement enraciné chez tous, et que le grec le suit très à propos; autrement, nous aurions à juste titre attribué le premier rang à l’hébreu, car sans connaître ses particularités rhétoriques, toute personne qui, même en lisant les auteurs grecs, voudrait découvrir le sens authentique de l’Écriture peinerait dans de nombreux passages.

Il n’entre pas dans notre propos de parler de l’utilité des langues jusqu’à provoquer le dégoût.

Grâce à ces armes, toute personne qui s’approche avec un esprit humble et assoiffé pourra pénétrer dans cette sagesse céleste, à laquelle aucune sagesse humaine ne doit être comparée, encore moins égalée.

Lorsqu’il y pénétrera, il trouvera toutes sortes de manières de bien vivre, à savoir le Christ, l’exemple le plus parfait de toute vertu; lorsque dans les paroles et les faits il l’aura vraiment reconnu, il s’y attachera de telle sorte que dans toute action ou décision, il s’efforcera d’exprimer une part de ses vertus, autant que le permet la faiblesse humaine.

[…]

Ceux qui exhibent quotidiennement des types de vêtements étrangers ou nouveaux trahissent très certainement un disposition d’esprit très inconstante ou, si le terme est excessif, efféminée ou sensuelle. Ils ne suivent pas le Christ, car pendant ce temps ils laissent les nécessiteux mourir de froid et de faim. C’est pourquoi il faut s’abstenir des vêtements de luxe autant que de toute espèce de mal.

Quand l’adolescent commence à ressentir l’amour, il doit montrer qu’il a appris à discipliner son esprit. Et tandis que d’autres éprouvent leurs muscles par la force et les armes lors de troubles, notre jeune homme emploiera toute son énergie dans le but de se protéger de la folie de l’amour, et lorsqu’il aura vu qu’il doit absolument aimer, qu’il prenne garde à ne pas se perdre, mais qu’il choisisse comme objet d’amour une femme dont il a confiance qu’il pourra supporter le caractère dans un mariage stable, et qu’il entretienne avec elle jusqu’au jour des noces des relations irréprochables, de sorte qu’en dehors d’elle il ne connaisse personne d’autre dans tout le cercle des femmes et des jeunes filles.

[…]

Nous pensons qu’il ne faut pas aborder l’apprentissage des mathématiques, auxquelles on ajoute aussi la musique, à la légère, et ce même si on ne les étudie pas en profondeur; car si on les connaît, elles sont très utiles, mais si on les néglige, cela entraîne de grands inconvénients; de même, celui qui s’y attarde trop longtemps n’en tirera pas plus d’avantage que ceux qui, pour ne pas mourir d’ennui, changent sans arrêt de lieu lorsqu’ils se promènent.

[…]

 

Aphorismes des enseignements de la dernière partie

Tout d’abord, un esprit noble méditera ainsi en lui-même: le Christ s’est livré pour nous et s’est fait nôtre; c’est ainsi que toi aussi tu dois te livrer à tous, ne pas croire que tu t’appartiens, mais que tu appartiens aux autres; en effet, nous ne sommes pas nés afin de vivre pour nous-mêmes, mais afin de nous faire tout à tous.

Dès sa tendre jeunesse donc, il ne pensera qu’à la justice, à la foi, à la constance, grâce auxquelles il sera utile à la chrétienté, à la patrie, à chacun en particulier, à tous. Les esprits qui ne cherchent qu’à avoir une vie tranquille sont paresseux et ne sont pas aussi semblables à Dieu que ceux qui s’efforcent d’être utiles à tous même en prenant des risques.

[…]

Je ne lui interdis pas trop vivement ces réunions où l’on se retrouve en commun ou publiquement, comme les noces des proches, les jeux ou les fêtes annuels, puisque je constate que le Christ prenait parfois part aux noces sans grand déplaisir. En effet, si ce qui doit de toute manière se faire est fait en public, nous l’approuvons davantage que si cela se fait dans des lieux retirés et des tavernes; car une foule de témoins effraie certaines personnes plus vivement que leur propre conscience, et il faudra regarder comme perdu celui qui n’a pas honte de se comporter de façon indigne en public.

Il s’efforcera toujours de retirer un profit des rassemblements publics, pour ne pas toujours rentrer chez lui pire qu’auparavant, comme s’en plaignait Socrate. Il observera celui qui se comporte avec retenue en public et l’imitera; en revanche, il méprisera celui qui se comporte avec impudence.

[…]

Lorsque les circonstances s’y prêtent, nous permettons les jeux avec les enfants du même âge, mais seulement ceux qui sont instructifs et utiles à l’exercice du corps. Sont instructifs: les batailles de chiffres, qui nécessitent de connaître l’arithmétique, ou les batailles de position [les échecs], qui nécessitent de connaître les règles concernant les pions : attaques, temporisation, arrêt et ruses. En effet, ce jeu enseigne avant tout à ne rien entreprendre avec précipitation; cependant il faut parfois savoir y garder la mesure; car il y en a qui en sont devenus dépendants, délaissant les choses sérieuses. Nous permettons de vaquer à ces occupations de temps en temps et seulement aux heures perdues. Nous abandonnons aux corbeaux les jeux de dés et les jeux de tables qu’on appelle cartes.

On exercera le corps à la course, au saut, au disque, à la gymnastique, à la lutte (mais il faut la pratiquer avec parcimonie, car il est souvent arrivé qu’elle dégénère), divertissements pratiqués par presque tous les peuples, mais particulièrement par nos ancêtres, je veux dire les Helvètes, et très utiles dans diverses situations.

[…]

Que toute conversation ainsi que tout discours soient utiles à ceux avec qui nous vivons.

[…]

C’est le propre du chrétien de ne pas parler pompeusement des dogmes, mais de toujours réaliser des choses difficiles et grandes avec Dieu. Continue donc, excellent adolescent, à donner, grâce à ces véritables ornements que tu auras acquis, plus d’éclat à ta famille, à ta dignité, à ton héritage familial, à toutes ces choses magnifiques que tu as reçues; je n’en ai pas assez dit: pense bien que ces choses ne sont que des ornements, considère-les comme soumis à la Fortune, sous la conduite de Dieu très bon et très grand – puisse-t-il te garder sain et sauf. Amen.