Description chorographique de l'illustre ville de Berne avec tout le territoire et toutes les régions placées sous son autorité
Traduction (Français)
Préface, fol. 1ro, 2ro, 3ro, 5ro-6ro
[Thomas Schöpf] souhaite la joie et la paix éternelles aux hommes éminents, remarquables par la noblesse de leur naissance, leur piété, leur sagesse et leur vertu, aux consuls et aux sénateurs de l’illustre république de Berne, ses seigneurs très cléments et très respectables.
[La lettre débute par une longue réflexion sur la naissance, l’essor et le déclin des États. Schöpf s’appuie sur plusieurs passages bibliques (Is 49,23; Is 60,10; Is 60,12; Is 60,16; Si 10,8) pour montrer que la chute d’un État est due à l’impiété de ses citoyens. Selon lui, Satan profite de la nature corrompue des hommes pour déstabiliser l’État et causer sa ruine.]
Après avoir bien médité là-dessus, passé intérieurement en revue les empires, les royaumes et les cités de toutes les époques et songé à tous ceux qui jadis fleurissaient et ont aujourd’hui disparu, misérablement réduits en cendres, j’ai commencé à examiner notre république et à me remémorer la raison première de sa fondation, les auspices sous lesquels elle a débuté et comment elle est parvenue à se développer à ce point. Une fois que j’eus compris ces choses et que je les eus examinées avec un peu plus d’attention, j’ai découvert sans peine que notre république avait été créée il y a bien plus longtemps par la singulière providence de Dieu, que depuis lors ce n’est pas sans intervention divine qu’elle a été secondée, gouvernée et élevée au sommet de sa gloire, de sa puissance et de sa splendeur.
[Schöpf rappelle qu’il est devenu citoyen bernois et énumère les vertus qui caractérisent les magistrats bernois; grâce à eux, les citoyens mènent une vie paisible et honnête conformément aux recommandations de saint Paul (1 Tm 2,2).]
Réalisant l’importance de ce si grand bienfait de Dieu, tandis que je me faisais ces réflexions un peu plus poussées au sujet de notre république, j’ai été pris d’un immense désir de décrire sa géographie durant les heures où je ne remplissais pas mes fonctions, en partie pour montrer combien je respecte profondément cette république et à quel point j’ai de l’affection pour elle, et en partie pour lui rendre service, comme il convient à un citoyen reconnaissant; si je n’ai pas pu lui être utile, j’aurai au moins essayé.
C’est pourquoi j’ai saisi ma plume et décrit dans ces deux livres tout le territoire de cette république, ainsi que tous les pays et toutes les régions frontalières placées sous son autorité, non pas de manière historique, mais chorographique, en indiquant la situation géographique de chaque lieu et ses dimensions; on pourra ainsi connaître la longueur et la largeur exactes de chaque ville et de chaque village. J’ai décrit tout le territoire placé sous notre autorité dans un seul et même ouvrage pour qu’on le peigne sur une carte rectangulaire et qu’on puisse ensuite en faire l’étude; une fois ce travail achevé, quand je l’eus présenté et soumis à certains conseillers, très influents en raison de leur noblesse et de leur sagesse, ils m’encouragèrent et m’exhortèrent à interpeller et à solliciter notre très glorieux Conseil pour qu’il m’autorise à le publier.
[Il est ensuite question de la carte imprimée de la région de Berne. Schöpf défend son projet contre ceux qui y voient une impiété similaire au recensement de David puni par Dieu (1 Ch 21) et contre ceux qui lui reprochent de fournir ainsi des informations aux ennemis de Berne. Il souligne également l’utilité de la carte: les hommes pieux peuvent ainsi constater à quel point l’Évangile s’est répandu sur le territoire; les conseillers peuvent y recourir dans l’exercice de leur devoir; les voyageurs peuvent embrasser d’un seul regard tous les lieux, évaluer précisément les distances entre eux et recueillir d’autres informations encore.]
Les deux livres que j’ai écrits, même si je ne veux pas les publier et qu’ils ne doivent pas l’être, ont néanmoins leur utilité: elle est grande pour l’assemblée [du Conseil], très grande pour l’administration et la chancellerie; mais l’ordre que j’ai suivi en les écrivant et l’index très détaillé rendront leur utilité plus manifeste encore. En effet, j’ai d’abord présenté les quatre villages proches de la ville qui possèdent des paroisses, ensuite les bailliages intérieurs qu’on appelle les quatre Landgerichte, puis les bailliages extérieurs situés en territoire germanophone, à peu près dans l’ordre qu’ils observent dans les formations militaires en temps de guerre; telle est la teneur du premier livre.
Le second livre contient presque tous les bailliages acquis il y a 41 ans lors de la guerre de Savoie, auxquels s’ajoutent, parce qu’ils leur sont contigus, quatre bailliages communs qui emploient également la même langue que ceux-ci. À tout cela j’ai adjoint, à la fin, un index pour chaque livre.
Voici la méthode que j’ai observée presque en tous points lors de la rédaction: j’ai identifié le chef-lieu de chaque bailliage, le bailliage lui-même et sa nature; j’ai décrit la situation géographique du lieu et ses dimensions; j’ai indiqué la distance exacte qui le sépare de la ville et d’autres localités voisines de plus grande importance, le nombre et la nature des villages paroissiaux qu’il lui sont assujettis ainsi que la distance qui les sépare du [chef-lieu du] bailliage; j’ai aussi indiqué quels villages appartiennent à chaque paroisse et combien ils sont, ainsi que leur situation et leur distance par rapport à la paroisse et au [chef-lieu du] bailliage. De même, j’ai noté avec beaucoup de soin les montagnes, les sources des rivières ou des cours d’eau, les ponts, les forêts, les lacs, les vallées, du moins les plus importantes, les frontières, les bornes, les ruines d’édifices connus qui ont été détruits et les choses similaires qu’on a trouvées dans les différents bailliages.
Aussi, dans la mesure où ces deux livres et ma carte du territoire bernois offrent des usages si variés, tant sur le plan privé que sur le plan public, je suis tout à fait convaincu que mon travail, réclamé plusieurs fois par des hommes honorables, ne vous déplaira pas, très nobles et respectables seigneurs; je vous le dédie et le confie à votre protection, uniquement pour vous manifester, par cette modeste contribution, quelle qu’en soit la valeur, mon dévouement envers cette république et pour prouver mon intention et mon désir de la servir au mieux. De même, faites bon accueil à mon travail, défendez-le et tirez-en profit, seigneurs très cléments, puis entourez-moi très étroitement de votre faveur, dont vous m’avez poursuivi avec empressement jusqu’à présent. Quant à moi, ne pouvant faire davantage, avec mes vœux les plus ardents et du fond du cœur, je prie et invoque Dieu tout-puissant, père de notre Seigneur Jésus-Christ, de bien vouloir sauvegarder, protéger, défendre, assister, accroître et maintenir dans une paix perpétuelle votre cité, de bien vouloir éclairer, fléchir et guider vos âmes et vos cœurs par son Esprit Saint, et de diriger tous vos plans et tous vos actes de telle manière que nous, vos sujets, puissions mener une vie paisible et sans histoire en toute piété et en toute honnêteté. Amen.
Écrit dans notre étude en l’an de notre Seigneur 1577.
Dr Thomas Schöpf, médecin très dévoué à votre clémence.
[Extraits sur le col du Grimsel et la source de l’Aar]
fol. 73vo-74ro
Le col du Grimsel, qui est vraiment abrupt et tout à fait impraticable durant les mois d’hiver en raison des chutes de neige continuelles, joint le col de la Furka à la manière d’un promontoire; à son plus haut sommet se trouve un rocher escarpé où sont inscrites les frontières qui nous séparent des Valaisans et (si je ne me trompe pas) des Uranais; on appelle ce rocher Hausegg. […]
L’hospice est une habitation individuelle qui accueille dans un refuge public les voyageurs de passage; situé au pied septentrional du col du Grimsel, près d’un petit lac, il reste désert au moins pendant les cinq mois d’hiver. En effet, l’hôte, après avoir laissé sur place des produits laitiers de toutes sortes, du pain, du bois et des flambeaux, abandonne cet endroit durant l’hiver et se réfugie dans un village habitable; de ce fait, si une chute de neige soudaine ou une autre tempête inattendue s’abat sur ceux qui passent par là, ils peuvent y trouver de quoi se nourrir. […]
Sur le versant occidental du col du Grimsel, à travers les parois déchiquetées et les roches coupantes, jaillit un ruisseau qui gronde et s’élance avec force, se jetant dans une fosse, comme dans un bassin; jusqu’à présent tous, tant les savants que les ignorants, ont estimé qu’il s’agissait là de la source de l’Aar, alors que sa véritable source se situe à sept heures de marche et même plus de cet endroit […].
fol. 114ro-vo
La troisième montagne est appelée Schreckhorn, ce qui signifie en latin obliquum cornu («corne inclinée») ou terribile cornu («corne terrible»). Les deux noms conviennent parfaitement à cette montagne, d’abord parce qu’elle a une position vraiment inclinée et même presque transversale par rapport aux autres montagnes voisines, ensuite parce que le sommet de son pic le plus haut est si pointu que la plupart l’appellent «aiguille»; c’est pour cela qu’au premier coup d’œil, il effraie beaucoup les chasseurs par son aspect terrifiant. […]
Au pied oriental de cette montagne commence une vallée qui s’étend jusqu’au Grimsel, très escarpée et recouverte de glace éternelle, si bien qu’elle n’est d’aucune utilité, sinon pour les chasseurs et ceux qui extraient le cristal, très abondant à cet endroit. Et c’est parce que cette vallée a la forme d’une barque ou d’une arche qu’elle a été appelée In Arch; c’est aussi de là que cette rivière bien connue, l’Aar, a tiré son nom. Celle-ci parcourt toute cette vallée glaciaire en décrivant des méandres et tombe souvent à grand fracas du haut des rochers, comme en cascades, à travers les fissures de la roche poreuse; elle plonge finalement sous les rochers et la glace creusée et disparaît jusqu’au pied du mont Grimsel, par où elle finit par jaillir avec le débit d’une source régulière et avec beaucoup d’impétuosité; et c’est pour cette raison que jusqu’à présent tous, savants comme ignorants, ont cru que la source de l’Aar était située à cet endroit, alors que sa véritable source se trouve au pied oriental du mont Schreckhorn, près du lieu dit In Arch […].