Description du Fracmont ou mont Pilate

Übersetzung (Französisch)

Übersetzung: David Amherdt et Kevin Bovier


Lucerne

Chez les Helvètes, la cité de Lucerne jouit d’un grand renom; elle est surtout connue pour son monastère, dont le fondateur fut le prêtre Wighard, frère de Rupertus, duc des Alamans et des Souabes, vers l’année 810 après la naissance de notre Seigneur. On dit que la cité fut fondée après le monastère et même en lien avec le monastère. Ses habitants sont aimables et hospitaliers, et beaucoup d’entre eux sont riches. Il existe de nombreux témoignages de leur courage à la guerre. L’agrément des lieux est remarquable, et s’y ajoute l’avantage que présentent pour la pêche, le transport et la protection des lieux, le lac et la Reuss, qui à cet endroit sort du lac qu’elle a formé. Il y a deux ponts ouverts sur la rivière, et deux ponts couverts sur le lac; ils sont recouverts de planches; l’un des ponts du lac, le plus long, mesure environ cinq cents pas. De l’autre côté, la ville est abritée et protégée par une haute colline, qui est aussi entourée de remparts. Mais je laisse à d’autres le soin de décrire la ville. Le pied du Fracmont, par où nous avons commencé notre ascension, se trouve à une heure et demie de route (j’apprends qu’on peut aussi monter par un autre chemin, plus raide). […]

 

Les cinq sens

[…] En effet, quel est le sens qui ne jouit pas ici de son propre plaisir? Car pour ce qui est du toucher, le corps tout entier, affecté par la chaleur, est tout à fait revigoré par la rencontre avec un air plus froid des montagnes qui souffle aussi sur toute la surface du corps et est inhalé à pleins poumons, conformément à ce que dit Homère: «Passant sur lui, le souffle frais de Borée le ranime». De même, le corps éprouvé par les vents et le froid se réchauffera grâce au soleil, à la marche ou au feu des chaumières des paysans.

La vue est charmée par le spectacle prodigieux et inhabituel des montagnes, des pics, des rochers, des forêts, des vallées, des rivières, des sources, des prés. Pour ce qui est de la couleur, presque tout est vert et fleuri; pour ce qui est des formes des choses que l’on peut voir, l’aspect des pierres, des rochers, des courbures et des autres choses, est étonnant et rare, admirable autant par la forme que par la taille et la hauteur. Si l’on a envie de regarder avec attention, de diriger ses yeux çà et là, de tout observer en long et en large devant soi et autour de soi, il ne manque pas d’éminences et de rochers sur lesquels on a l’impression de se trouver déjà la tête dans les nuages. Par contre, si l’on préfère restreindre la portée du regard, on sera attentifs aux prés et aux forêts verdoyantes ou même on y pénétrera, ou, si l’on veut restreindre encore plus la portée du regard, on examinera les sombres vallées, les rochers ombreux, les obscures cavernes. En outre, toutes choses y sont changeantes et variées, mais il y a surtout l’agrément des choses sensibles. Nulle part ailleurs on ne trouve une telle variété que dans les montagnes, et ce dans un si petit espace. […]

Les doux discours des amis, leurs plaisanteries et leurs bons mots plairont à l’ouïe, ainsi que les chants très doux de petits oiseaux dans la forêt, et enfin même le silence de la solitude. Ici, rien ne peut gêner les oreilles, rien ne les importune, aucun vacarme ou bruit urbains, aucune querelle entre les gens. Ici, dans le silence profond et religieux des très hautes montagnes, tu auras presque l’impression d’entendre, si tant est qu’elle existe, l’harmonie même des corps célestes.

S’offrent aussi à toi les douces odeurs des herbes, des fleurs et des plantes de la montagne. Et en vérité, les plantes qui croissent dans les montagnes sont plus odorantes et plus efficaces pour la guérison des maladies que celles de la plaine. Ici, l’air est nettement plus pur et plus salubre, et il n’est pas aussi souillé de lourdes exhalaisons que dans la plaine, ni pollué ou fétide comme dans les villes ou les autres endroits où habitent les hommes. Ici, passant des narines au cerveau, des artères aux poumons et au corps, l’air non seulement n’est pas nocif, mais il fait même du bien.

J’ai déjà célébré plus haut l’éminent plaisir du goût, c’est-à-dire une boisson d’eau froide, qui ici charmera ceux qui sont fatigués et qui ont soif sans leur faire de mal – en tout cas bien moins que dans la plaine ou à la maison. Premièrement, en effet, dans les montagnes, l’eau elle-même est plus pure et meilleure, surtout à mi-hauteur, si je ne me trompe, où elle n’est ni trop froide ni provenant directement de la neige, et cependant pure et filtrée et encore en contact avec l’air libre. […]