Le «Caton le Censeur» chrétien
Traduction (Français)
Contre les orgueilleux | |
Holà! Il déambule l’air menaçant, le souffle bruyant, | |
Le regard hautain, le corps cambré | |
Et la démarche semblable à celle du paon, | |
Tout son être témoignant d’une vaine arrogance: | |
Qui donc rêve d’être tout alors qu’il n’est rien? | 5 |
Et cet orgueil ne trouvera-t-il pas | |
Un vengeur qui te toise de tout en haut? | |
Quand bien même, hésitant, Il différerait sa colère, | |
Qui pourrait te supporter ici-bas, toi qui es incapable de supporter tous les autres? | |
Contre les paresseux | |
Eh toi, dont l’unique occupation est de paresser, | |
Prends l’habitude de regarder les autres pendant que tu ne fais rien: | |
Vois-tu les astres tourner continuellement, | |
Les vents s’engouffrer dans les espaces aériens, | |
Les eaux s’écouler dans un mouvement incessant, | 5 |
La mer s’agiter de vagues qui refluent? | |
Et vois-tu le sol lui-même, bien que toujours ferme, | |
Revêtir sans cesse des formes différentes? | |
Tu vois tout cela, dis-je, sans te rendre compte qu’en haut et en bas | |
C’est ton indolence qui est ainsi révélée? | 10 |
Écoute donc, imbécile, si tu en as le loisir, | |
Car l’homme est né pour travailler et non pour paresser: | |
Le repos se gagne par le travail, non par la paresse, | |
Et aucune occupation n’est pire que la paresse. | |
Contre ces mêmes paresseux Si aucun mortel ne naît pour la paresse, Comme tu es bienheureuse, ô ville, où chacun S’acquitte diligemment de la tâche qui lui échoit!
Contre les ambitieux | |
Je t’en conjure, toi qui, après avoir escaladé la pente d’une montagne, prends | |
Le chemin vers le sommet d’une autre montagne | |
Et ne cesses jamais d’ajouter des montagnes aux montagnes, | |
À quel moment prendras-tu donc du repos? | |
Bien sûr, même si, pour que tu puisses escalader le ciel lui-même, | 5 |
Le créateur du monde t’accordait tout le royaume des cieux | |
Ou agrandissait la terre pour toi, | |
Le monde ne suffirait pas à étancher cette soif. | |
Bien au contraire, durant ta vie, soit tu n’obtiendras jamais ce que tu désires, | |
Soit tu chuteras misérablement durant ton ascension, ambitieux; | 10 |
Et toi qui, de ton vivant, ne peux te contenter du monde, ambitieux, | |
Quand tu seras mort, tu devras te contenter de six pieds. | |
Contre les menteurs | |
Mensonge inconnu du ciel, de la terre elle-même | |
Et de tout ce que le créateur du monde | |
Garde étroitement enchaîné à lui par le lien de la vérité, | |
Mais agréable aux seuls mortels (ô malheur!), | |
Maître en tromperie et fourberie de toutes sortes, | 5 |
Toi qui sièges dans le cœur et la bouche de la plupart des gens, | |
Qui attaques impunément les trônes des princes eux-mêmes, | |
Qui occupes les bancs retentissants des juges, | |
Qui résonnes dans les ateliers, les échoppes, | |
Et même impudemment depuis les chaires sacrées, | 10 |
Tournant sens dessus dessous tout ce qui est saint, | |
Ne succomberas-tu jamais, sauf quand le monde s’effondrera? | |
Car, de même que la vérité divine protège tout, | |
Le funeste mensonge fait tout s’écrouler. | |
Règne, règne donc aussi longtemps que Dieu le permet, | 15 |
Mensonge, puisque c’est ce que mérite ce monde mensonger. | |
Mais vous, les rares à aimer la vérité, | |
Gardez courage, fiez-vous à la main de Dieu! | |
Car le temps viendra où le monde et le mensonge | |
S’écrouleront ensemble d’un coup; alors le mensonge | 20 |
Entraînera le monde avec lui et le monde entraînera le mensonge avec lui. | |
Contre les bavards | |
Quand il eût fallu parler, vouloir se taire; | |
Quand il eût fallu se taire, vouloir parler: | |
Ce sont deux vices que les gens doivent à tout prix | |
Éviter dans la vie privée et publique. | |
Mais à choisir entre ces deux vices, | 5 |
Je préfère celui qui consiste à se taire quand on pourrait parler, | |
À celui qui consiste à parler quand on ne le devrait pas. | |
Car on peut découvrir beaucoup de choses en se taisant, | |
Et souvent on a pu dire beaucoup de choses | |
Qu’on aurait dû taire à ce moment-là. | 10 |
Donc apprenez à vous taire, vous les bavards, | |
Ou quittez une fois pour toutes le monde entier. | |
Contre les frivoles | |
Alors que sans relâche le temps fait tourner les astres | |
Et que s’écoule pour les mortels une vie à la durée incertaine, | |
Au terme de laquelle ils doivent rendre compte de leur vie passée | |
Devant le sévère tribunal de Dieu, | |
En quoi avoir passé votre vie en frivolités vous aidera-t-il, alors que ces frivolités | 5 |
Vous forceront malgré vous à affronter des choses si sérieuses? | |
Contre les adultères | |
Veux-tu anéantir le monde? Détruis les villes de fond en comble. | |
Veux-tu faire disparaître les villes? Fais disparaître les foyers. | |
Veux-tu détruire les foyers? Fais en sorte que l’épouse soit privée d’époux | |
Et que les liens sacrés du mariage soient vains. | |
Il faut donc que les foyers, les villes et le monde périssent; | 5 |
Ou alors il faudra bannir du monde tous les adultères. | |
Contre les théologiens qui pratiquent trop la philosophie | |
Ce que Dieu nous a révélé par sa Parole | |
Ne peut être connu par la raison humaine; | |
Si quelqu’un rêve de pouvoir mieux connaître ou enseigner tout cela | |
Grâce aux vains songes des philosophes, | |
C’est-à-dire s’il pense que la lumière a besoin des ténèbres, | 5 |
Il est digne d’être considéré comme le prince des fous. | |
Car la vérité accuse le mensonge, | |
Mais le mensonge ne prouve pas la vérité. | |
Contre les parjures et les blasphémateurs | |
Jurer par Dieu, c’est placer Dieu sur son trône, | |
En partie comme confident des secrets, | |
En partie comme garant de sa vérité. | |
Donc, quand tu jures sciemment par de faux dieux | |
Ou quand tu prêtes un faux serment, sais-tu que tu commets un crime? | 5 |
En tout cas, tu places l’ennemi de Dieu sur le trône de Dieu, | |
Le mensonge sur la chaire de la vérité. | |
Ne ferez-vous pas tomber le ciel sur Sa tête? | |
Et ne ferez-vous pas s’effondrer le sol sous Ses pieds? | |
Mais toi, plus criminel que n’importe quel criminel, | 10 |
Toi qui provoques Dieu avec tes mots impies, | |
En tant que seul coupable d’un crime innommable, | |
Un châtiment connu de la divinité seule t’attend. | |
Contre les épicuriens | |
Toi qui a l’apparence d’un homme, mais qui, à l’intérieur, es une bête | |
Plus stupide que n’importe quelle bête, | |
N’as-tu pas honte de pouvoir contempler les lumières des astres | |
Qui passent en si bon ordre, | |
De pouvoir fouler la terre | 5 |
Et de pouvoir observer tant de merveilles qui se trouvent sur son sol, | |
Le flux et le reflux de la mer | |
Et tant de bêtes qui nagent? | |
Et puisque tout cela annonce à tous Dieu | |
Très bon et très grand, | 10 |
N’as-tu pas honte de vouloir contredire tant de témoins, | |
Au point d’ignorer ce qui est connu de tous? | |
Mais, dis-tu, si Dieu a créé cela | |
Et le gouverne selon sa volonté, | |
Pourquoi permet-il que tant d’honnêtes gens soient malheureux, | 15 |
Tandis que nous voyons les méchants prospérer? | |
Au contraire: tout va pour le mieux pour les honnêtes gens | |
Et tout va pour le pire pour les méchants; | |
Ce que tu penses être bon pour les méchants est mauvais pour eux, | |
Ce que tu penses être mauvais pour les honnêtes gens est bon. | 20 |
Mais il faut vraiment avouer qu’il est très bon, | |
Celui qui t’a si souvent épargné. | |
Contre les flatteurs | |
Louer ou être loué sans modération pour quelque mérite, | |
Dissimuler des actes honteux sous le nom honorable de vertus, | |
De même que cela détourne les esprits sains du droit chemin, | |
Cela fait des méchants les pires des personnes. | |
Que fuie les flatteurs quiconque craint | 5 |
D’attirer sur soi un déshonneur durable. | |
Combien il est préférable d’écouter le sermonneur intransigeant, | |
Avare d’éloge, mais généreux dans ses critiques! | |
Contre les ivrognes | |
Vous qui vous occupez à vous remplir la panse, | |
Vous buvez la mort là où les autres boivent la vie, | |
On vous voit assis à table tôt le matin | |
Et tard le soir avec de grandes coupes, | |
Jusqu’à ce que vous deveniez un spectacle infâme pour l’assistance | 5 |
Quand vous vomissez votre ignoble excès de vin. | |
Qui pourrait croire que vous êtes des hommes en voyant votre visage: | |
Le front coloré de toutes ces pustules bleuâtres, | |
Le nez couvert de tous ces rubis flétris, | |
Les cernes écarlates qui entourent les yeux rouges, | 10 |
Les yeux gonflés d’où s’écoule un liquide vineux, | |
La commissure de la bouche qui bave, les joues qui tombent? | |
Mais qui donc pourrait vous comparer à des bêtes? | |
Car nul n’a jamais vu de bêtes ivres. | |
Quel sort méritez-vous, selon notre jugement? | 15 |
Celui-ci: de même que l’ivrognerie punit d’ordinaire | |
Ses adeptes durant leur vie, | |
Puisse-t-elle vous tourmenter ardemment, encore et toujours, | |
Et puisse une soif éternelle vous accabler une fois couchés dans votre tombe. | |
Contre les fornicateurs | |
Ah! Vous que le plaisir impur change en boucs | |
Et en chiens soumis au joug honteux | |
Des prostituées, vous qu’il pousse à accomplir | |
Toutes sortes de pratiques très impures en vous souillant mutuellement, | |
Et vous à qui il enseigne, contre les lois du mariage, | 5 |
Non à semer le genre humain, mais à causer sa perte; | |
Allez-vous-en, fléaux !, là où la juste colère de la divinité | |
Et la nature elle-même, indignée, vous appellent. | |
Contre les avares | |
Pourrait-il être touché par l’amour de Dieu, | |
Voudrait-il aimer quelqu’un en retour, | |
Voudrait-il, dis-je, s’aimer lui-même, | |
Celui pour qui l’argent est le seul dieu, | |
Celui qui cherche à tirer un profit honteux de n’importe quelle affaire, | 5 |
Qui vit en cruel tourmenteur de lui-même? | |
C’est donc à juste titre que l’avare est haï de tous, | |
Au point qu’il est l’ennemi de Dieu, de tous, de lui-même. | |
Contre les envieux | |
Vous, dont le cœur entier est gonflé de poisons | |
Tirés des sombres profondeurs de la grotte des enfers | |
Et qui ne pouvez vous satisfaire de ce que vous avez, | |
Ni vous réjouir de la prospérité des honnêtes gens, | |
Où donc vais-je vous ordonner de partir, vous les envieux, | 5 |
Que le monde ne peut souffrir de voir vivants | |
Et que le Tartare même ne pourra peut-être pas supporter après leur mort? | |
Puisque vous êtes d’ordinaire pour vous-mêmes | |
Le pire des enfers, continuez donc à l’être. | |
Et détruisez-vous les uns les autres, vous les envieux, | 10 |
Car il n’y a rien de plus misérable que les envieux. | |
Contre les usuriers | |
Celui qui, par un prêt, ne fait jamais tiens ses biens, | |
Mais qui fait toujours siens les tiens; | |
Celui qui fait fructifier ce que la nature a créé stérile; | |
Celui qui dépouille en donnant, qui amasse en dépensant; | |
Celui qui, sans jamais semer, ne cesse de récolter; | 5 |
Celui qui dévore ce qui est cuit et cru sans jamais être rassasié; | |
Celui à qui, que le sol soit stérile ou fertile, | |
La lune apporte des revenus mensuels, le soleil des revenus annuels; | |
Veux-tu savoir qui c’est? C’est l’usurier, | |
Qui est plus nocif que tous les fléaux du monde, | 10 |
Qui est plus fréquent que tous les fléaux du monde. | |
Mais toi, Dieu sévère, vengeur des pauvres, | |
Que cet individu dévore avec ses taux d’intérêt, | |
Veille à l’assagir ou à le traîner devant ton tribunal | |
Et à lui faire subir un châtiment avec les intérêts au centuple. | 15 |
Contre les prétendus moines | |
Qui fait semblant de suivre le Christ, mais n’est qu’un porc du troupeau d’Épicure? | |
Pour qui la piété est-elle un crime, la religion une plaisanterie? | |
Qui se prétend célibataire, mais remplit les villes de mères? | |
Qui est pauvre en apparence, mais fait de tout sa propriété? | |
Ce sont ceux que Satan a nourris dans son antre infernal, | 5 |
Et instruit dans tous les arts du mal, | |
Puis qu’il a peu à peu fait sortir et qu’il a répandus dans le monde entier, | |
Puisque la juste colère de Dieu le réclamait, | |
Eux qu’autrefois la Grèce appelait «moines», faisant ainsi une prédiction | |
Trop exacte, car ils ne sont qu’un objet de chagrin pour tous. | 10 |
Contre ceux qui espèrent tirer profit d’une mauvaise action | |
Si (ce que les impies sont bien obligés de reconnaître, | |
Bien qu’ils vendent leur conscience pour n’importe quel crime) | |
Tous les bienfaits dépendent de Dieu seul, | |
Existe-t-il donc quelque part quelqu’un de plus stupide | |
Que celui qui a l’illusion de prendre part à quelque bien | 5 |
Tout en méprisant le créateur de tout bien? | |
Contre les philosophes qui pratiquent trop la théologie | |
Celui qui semble être le plus grand prince des philosophes, | |
Celui qu’on appelle «la meilleure fin» en grec, | |
Se figurait que ce monde avait toujours existé | |
Et pensait donc qu’il n’aurait jamais de fin. | |
Il est étonnant que cet homme, qui s’est honteusement laissé allé à une telle erreur, | 5 |
Soit considéré comme le plus savant des philosophes, et de loin. | |
Mais il prouve ainsi que ceux qui ne savent pas garder leur pensée | |
Dans une juste mesure deviennent complètement stupides. | |
Traduction grecque du poème de six vers très bien tourné du sieur Théodore de Bèze sur les adultères, par Isaac Casaubon Contre les adultères | |
Veux-tu détruire le monde? Détruis d’abord les villes. | |
Veux-tu faire de même pour les villes? Fais disparaître les foyers un par un. | |
Mais désires-tu aussi anéantir les foyers? Alors, que nul ne se soucie des œuvres du mariage; | |
Et que les mortels ne connaissent pas le serment du lit nuptial. | |
Que l’on épargne donc ceux qui s’adonnent aux unions adultères, | 5 |
Pour que périssent tous les foyers, la ville et le monde entier. | |
Sur la vieillesse | |
Espérée par tous, mais appréciée d’un très petit nombre, | |
Voilà la vieillesse; comment se fait-il que ceux à qui tu ouvres | |
Les portes de la vie bienheureuse te détestent, | |
Alors que tu marques la fin des misères de cette existence? | |
Eh bien, c’est parce que la plupart des gens ne songent à rien d’autre | 5 |
Qu’aux choses terrestres et ignorent les choses célestes. | |
D’où tant de plaintes, de lamentations inutiles, | |
Tandis que ce triste vieillard mort-vivant, | |
La tête tremblante, les yeux chassieux, | |
Le visage strié de rides, regarde par terre, | 10 |
Et d’un pas chancelant, peine à faire avancer ses trois pieds. | |
Mais déjà l’un crie qu’il n’a plus goût à rien; | |
Un autre tousse jour et nuit et ne dort pas; | |
Un autre est brûlant de fièvre; | |
L’un, pris par les douleurs lancinantes de la goutte, | 15 |
Et un autre malheureux, tourmenté par d’atroces calculs, | |
Accablent le ciel de plaintes inutiles. | |
Et je ne dis rien de nombreux autres milliers de maux, | |
Que traîne d’ordinaire avec elle la cruelle vieillesse, | |
Qui est à elle seule la pire des maladies. | 20 |
Mais ces maux, et s’ils ne devaient pas les imputer | |
À la vieillesse, mais à eux-mêmes et à leurs excès, | |
Pour lesquels on subit ainsi ce juste châtiment? | |
Et même à supposer que mille croix s’attachent à la vieillesse, | |
Qui dira à juste titre que ces croix sont mauvaises, | 25 |
Alors qu’elles nous apprennent aussi à connaître Dieu? | |
Donc, peu importe ce que l’un ou l’autre radote, | |
La vieillesse est vraiment un grand don de Dieu très bon: | |
Qu’elle soit douce, comme pour moi, ou rude, | |
Il faut savoir en faire bon usage si on en a la possibilité; | 30 |
Ce que Bèze reconnaît avec gratitude dans ce poème, | |
Priant ardemment pour qu’elle continue encore. |