Le «Caton le Censeur» chrétien
Traduction (Français)
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Le vengeur en question est évidemment Dieu.
2
Le poète pense probablement à Genève, même si son message pourrait aussi avoir une portée plus générale.
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Le ton est ici ironique. L’escalade des montagnes ou des cieux est un lieu commun qui exprime la vaine ambition dans des contextes moraux: voir Summers (2017), p. 93-94, qui donne l’exemple de la tour de Babel et de plusieurs mythes grecs. Ici, Bèze s’inspire peut-être de Mt 4,8-9 (trad. TOB): «Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne; il lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire et lui dit: ‘Tout cela je te le donnerai, si tu te prosternes et m’adores.’»
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Possible allusion au proverbe: «Six pieds de terre suffisent au plus grand homme» (cf. R. Tosi, Dictionnaire des sentences latines et grecques, Grenoble, 2010, no 1034, p. 761). Voir par exemple Nicolas Barnaud, Le miroir des François, s.l., s.n., 1582, p. 110: «Encores oublies-tu le principal: car six pieds de terre pourrie qu’ils cerchent tant en ce monde, les couvrira abondamment pour les fouler à jamais de la fin qu'ils en ont durant leur miserable vie.» Voir aussi Summers (2017), p. 94 et n. 38.
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Le terme «épicurien» désigne à l'époque les «athées», c’est-à-dire les personnes qui ne croient pas aux contenus essentiels de la religion chrétienne en raison d'une vision naturaliste du monde, de convictions philosophiques telles que le scepticisme ou le libre-arbitre (il convient de les distinguer clairement des personnes ayant d'autres croyances religieuses, comme les juifs et les musulmans): nous parlerions aujourd’hui d’athées, de déistes, de libertins, d’agnostiques, de libertins, etc. Voir à ce sujet G. Minois, Histoire de l’athéisme: les incroyants dans le monde occidental des origines à nos jours, Paris, Fayard, 1998, en particulier p. 133-177 pour la Renaissance.
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Sur ce thème, voir aussi le poème de Rudolf Ambühl junior que nous présentons sur ce portail.
7
Ce poème est fortement lié à celui sur les adultères, où la destruction du mariage condamne aussi l’ensemble de la société humaine. Toutefois, à la différence de l’adultère qui implique des personnes mariées, la fornication désigne tout type de péché sexuel (entre deux personnes non mariées, avec une prostituée, etc.). Voir à ce sujet Summers (2017), p. 274-277.
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Jérôme formule une pensée similaire dans son commentaire à l’épître de Paul aux Éphésiens (3, PL 26, col. 554; nous traduisons): Ut voracium deus venter est, ita cupidorum quoque iustissime pecunia deus dici potest […] («De même que le ventre est le dieu des goinfres, on peut dire très justement que l’argent est le dieu des avares […]»).
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L’envie est le péché commis par Satan à l’égard de Dieu, ce qui permet à Bèze de situer sa source en enfer; voir Summers (2017), p. 252.
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Ce poème est intéressant dans la mesure où l’on a aujourd’hui tendance à lier l’essor du capitalisme à la Réforme (et au calvinisme en particulier), d’après une lecture simplifiée (voire simpliste) de l’œuvre de Max Weber (publication originale: «Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus», Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik 20 (1904), p. 1-54, et 21 (1905), p. 1-110). La réalité est plus complexe. Si Bèze condamne ici la pratique de l’usure sur le plan moral, dans les faits les autorités genevoises toléraient les prêts à intérêt, leur taux pouvant varier entre 5 et 6,7 % à l’époque de Calvin, et même 8 % plus tard. Bèze lui-même a parfois défendu ces taux contre les magistrats qui les attaquaient. En réalité, le problème, pour le «censeur chrétien», ne réside pas dans le prêt à intérêt en soi (les riches pouvant y recourir sans que cela ne cause de scandale), mais dans l’usure qui touche la partie la plus vulnérable de la population, c’est-à-dire les pauvres. Voir à ce sujet Summers (2017) p. 211-244, avec renvois à la bibliographie sur le sujet.
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Cela signifie que le prêt ne devrait pas rapporter d’intérêt. Cette idée remonte à une proposition de Platon dans les Lois (11,921d), qui est discutée plus tard par les Pères de l’Église. Sur l’histoire de cette idée, voir Summers (2017), p. 216-224.
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Summers (2017), p. 306-314, estime que Bèze vise ici les jésuites en particulier. Il est vrai que les réformés les considéraient comme une menace particulièrement dangereuse pour leur cause, mais ici les vers du poète peuvent également désigner d’autres congrégations catholiques, comme les ordres mendiants.
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Allusion à un vers d’Horace, Épîtres 1,4,15-16 (nous traduisons): «Quand tu voudras rire, tu viendras me voir: gras et en pleine forme, la peau bien soignée, tel un porc du troupeau d’Épicure!». Comme dans le poème sur les épicuriens, le troupeau d’Épicure désigne ceux dont la croyance est contraire à la doctrine chrétienne.
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Jeu de mot intraduisible entre monachus (du grec μοναχός/monachos, «le moine») et μοῦνον ἄχος/mounon achos («la seule douleur», «le seul chagrin»).
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Par ce jeu étymologique, le poète désigne Aristote.
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Aristote défend cette opinion par exemple au début du livre 8 de sa Physique (250b-251b). La polémique sur l’éternité du monde a pris de l’ampleur au Moyen Âge avec plusieurs traités sur le sujet, en particulier le De aeternitate mundi de Thomas d’Aquin. Voir à ce sujet C. Michon (dir.), Thomas d’Aquin et la controverse sur L’Éternité du monde. Traités sur L’Éternité du monde de Bonaventure, Thomas d’Aquin, Peckham, Boèce de Dacie, Henri de Gand et Guillaume d'Ockham, Paris, GF Flammarion, 2004.
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Dans ce poème qui sert de conclusion au recueil, Bèze ne s’en prend pas à un type de pécheur, mais jette un regard sur sa propre condition de vieillard, non sans autodérision. Il fait en quelque sorte un bilan de sa lutte contre les péchés. Voir Summers (2017), p. 356-357.
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Détail peut-être inspiré du poète Maximien (eleg. 1,219): Nec caelum spectare licet, sed prona senectus / terram, qua genita est et reditura, videt / fitque tripes, prorsus quadrupes, ut parvulus infans, / et per sordentem (flebile) repit humum («La vieillesse penchée en avant ne peut regarder le ciel, mais voit la terre, où elle est née et où elle retournera, et devient tripode, presque quadrupède, comme un petit enfant, et rampe (tristement) sur le sol sale»). On peut aussi y voir une allusion à l’énigme du Sphinx posée à Œdipe, qui consistait à déterminer quel être, pourvu d'une seule voix, a d’abord quatre jambes, puis deux, et enfin trois; la réponse correcte étant l’homme, car il marche à quatre pattes quand il est enfant, se tient sur ses deux jambes une fois adulte et s’appuie sur un bâton qui fait office de troisième jambe dans sa vieillesse (cf. Apollod. Bibl. 3,5,8; Diod. Sic. 4,64,4).
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Idée topique remontant à l’Antiquité, et notamment à Térence, Phormion, 575: Senectus ipsast morbus («La vieillesse est en soi une maladie»); on la retrouve dans Erasm. adag. «Ipsa senectus morbus est» (ASD 2.4, no 1537, p. 46-48). La vieillesse est également considérée comme une maladie dans la seconde lettre de consolation d’Henri Glaréan à Aegidius Tschudi. Sur la fortune de cette idée antique jusqu’à l’époque contemporaine, voir R. Tosi, Dictionnaire des sentences latines et grecques, Grenoble, Jérôme Millon, 2010, no 1087, p. 799-800.
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On trouve une idée similaire dans une lettre de Jérôme (epist. 10,2) adressée à un vieillard du nom de Paul, dont l’auteur fait l’éloge (nous traduisons): futurae resurrectionis virorem in te nobis Dominus ostendit, ut peccati sciamus esse, quod ceteri adhuc viventes praemoriuntur in carne, iustitiae, quod tu adulescentiam in aliena aetate mentiris («Le Seigneur nous montre en toi la vigueur de la future résurrection, afin que nous sachions que c’est à cause du péché que les autres, encore vivants, meurent prématurément dans leur chair, et que c’est parce que tu fais preuve de justice que tu parais jeune alors que tu es d’une autre époque»).