Préface à l’édition de Pindare de Jacob Ceporin
Traduction (Français)
Traduction: David Amherdt/Kevin Bovier (notes originales en allemand: Clemens Schlip)
Fol. 2ro-vo
Ulrich Zwingli salue ceux qui étudient les langues
«Quiconque s’efforce» (pour commencer par un vers d’Horace) de recommander « Pindare, s’élève sur les ailes de cire de Dédale», excellent lecteur. En effet, comme il est nécessaire de recueillir les éloges le concernant dans les cieux et au fin fond de l’enfer, où le son de sa lyre a pénétré, le plumage collé avec de la cire molle ne résistera ni à l’éclat des dieux d’en haut ni au feu de l’enfer. C’est pourquoi celui qui tentera d’embrasser une gloire si extraordinaire «donnera son nom à la mer cristalline». Je reconnais volontiers que cet homme, qui est sans conteste le prince de tous les lyriques, et je préférerais dire de tous les poètes, n’est digne d’être loué que par l’homme le plus éminent et le plus éloquent, mais certainement pas par moi, qui n’ai même pas les qualités nécessaires pour lever les yeux vers une poésie de si haute tenue. Mais quand Jacob Ceporin, un homme qui n’est né pour rien d’autre que pour exhumer et mettre en lumière des auteurs très anciens et très savants, m’a si sévèrement pressé d’écrire en son nom une préface aux Olympiques, aux Pythiques, aux Néméennes et aux Isthmiques, que Cratander, un homme très consciencieux, avait imprimées, je n’ai pas pu refuser cela à cet excellent homme, tant il m’implorait, même si je savais que je m’exposais au risque d’être moqué. En effet, avant que ne retentisse la lyre de Pindare, au son de laquelle les Muses, plus que n’importe qui joyeuses et reconnaissantes, forment un chœur, il a pensé qu’il serait à propos qu’un quelconque meneur de danse accomplisse cette action particulièrement stupide, tout en croyant pourtant toucher juste, pour qu’ensuite la gloire extraordinaire et indicible de ce poète suscite une plus grande admiration. C’est vraiment quelqu’un qui s’efforce de faire plaisir aux spectateurs; car sans notre badinage, Pindare aurait déjà procuré de l’agrément, mais il aurait été difficile de bien le comprendre. Et pourtant nous avons suivi tous les conseils qu’il nous a donnés: même s’il nous avait ordonné de danser nus, nous aurions obtempéré.
Fol. 3vo
On peut dire de Pindare, si on peut le dire à propos de quelqu’un, que son cœur était entièrement attaché à la sincérité, à la sainteté et à l’honnêteté et qu’il était tout entier imbu de ces qualités; c’est par ces gorges très limpides que s’écoule le flot du chant pindarique. Il n’y a rien, dans toute son œuvre, qui ne soit savant, charmant, saint, habile, vénérable, intelligent, sérieux, plaisant, réfléchi et en tous points parfait. Bien qu’il parle des dieux avec faste, il n’associe pas pour autant ce faste à leur foule et à leur multitude, mais il met souvent en scène cette puissance divine et céleste unique. Oui, saint Augustin dans un passage et Origène dans le Contre Celse donnent leur avis sur les philosophes et les poètes: même s’ils semblaient chanter plusieurs dieux, d’après les appellations et les noms qu’ils leur donnaient, en réalité ils savaient qu’il n’y a nécessairement qu’une puissance unique, qui est Dieu; nous faisons le même constat chez notre poète: même s’il invoque des dieux, il croit qu’il n’y en a qu’un seul.
Fol. 4ro
Mais quel profit tireras-tu, excellent lecteur, du fait qu’aucun auteur grec, à mon avis, ne semble être aussi utile que notre poète à la compréhension des Saintes Écritures, surtout si l’on désire examiner en profondeur les chants et les hymnes très obscurs des Hébreux, comme les psaumes, les vers de Job et d’autres types de louanges composés en mètres que l’on trouve un peu partout? En effet, il y a chez eux des chants célestes qui l’emportent sur tous les autres pour ce qui est de la piété et de la spiritualité, et qui ne sont inférieurs à aucun poème, pas mêmes à ceux de notre auteur, en termes d’érudition, de sérieux et de charme. Cela vaut pour presque tous les poèmes de David, mais surtout pour le psaume 103 et le psaume 43 des fils de Coré, qui sont des chants d’une telle qualité que l’on ne saurait jamais assez les admirer.
Fol. 4vo-5vo
Qu’ils écrivent des commentaires aussi monstrueux qu’ils veulent sur la religion chrétienne, mais qu’ils n’aient pas l’audace de parler de choses dont ils ne savent absolument rien. J’oserais en effet affirmer, à propos des poèmes des Hébreux, qu’il y a en eux autant d’érudition et d’agrément que dans Pindare ou Horace. Mais comme nous sommes si loin de connaître l’Antiquité et que nous préférons lire nos propres textes qu’apprendre ceux d’autrui, il arrive que nous, choucas (j’allais dire petits Grecs) de trois jours, nous arrachions aux très saints poètes hébreux des significations tout à fait étrangères à leur intention. Pour écarter enfin ces fléaux causés par notre témérité et notre ignorance, adressons-nous au poète et demandons-lui de nous prêter de l’or, de l’argent et des vêtements, qu’il a en abondance et qu’il ne garde pas pour lui, pour que nous apprenions un jour à désigner la vérité avec ses mots et à en reconnaître l’habillement, de telle sorte que, même si le ciel nous refuse la connaissance de cette vérité, nous la reconnaissions cependant mieux, parce que nous aurons fort bien reconnu son habillement. Je ne suis pas ébranlé par ces critiques pour qui la pureté elle-même est impure et qui considèrent comme la pire des hontes le fait de lire un poète païen; car je ne propose pas de lire n’importe quel auteur, mais un auteur qui ne présente aucun danger, dont on peut tirer de multiples profits et qui à lui seul est plus utile à l’étude des écrits hébraïques que tous les chefs-d’œuvre de tous les autres poètes grecs et latins. L’Antiquité eut en effet ses particularités, comme toute époque en a, qu’il ne faut pas accepter sans réflexion, à moins d’avoir fréquenté les Anciens; car tout disparaît, non seulement les langues, les vêtements, le génie, mais aussi l’homme, si grand soit-il. Mais comme notre poète semble avoir non seulement un style, mais un génie semblable à celle d’une époque très sainte, ce dont nous parlerons un peu plus à la fin du livre, nous lui envoyons sans danger le pieux auditeur; nous affirmons même que la piété en personne peut lui être envoyée en toute sécurité, tant tout est saint et chaste chez lui. Quant à toi, entre-temps, profite du sérieux de Ceporin et des efforts de Cratander: Pindare paraît ici bien mieux émendé que jusqu’à aujourd’hui; peut-être rencontreras-tu de petites erreurs qui subsistent sur une ou deux lettres; mais que cela ne te trouble pas; les yeux se ferment parfois d’eux-mêmes sur ces détails, tandis que l’esprit perçoit le sens. Porte-toi bien, bienveillant lecteur, et que Dieu très bon et très grand te donne d’apprendre, grâce au poète païen, ton maître, la vérité chez les Hébreux et de la présenter avec beaucoup d’agrément à tous les peuples. De Zurich, le 24 février 1526.