La vie bienheureuse
Traduction (Français)
La vie n’est donnée à personne en cadeau, elle est donnée à tous en usufruit. | |
Qui que tu sois, si tu veux vivre longtemps, vis bien. | |
Cela, ni les pierres précieuses ne te le donnent, ni des monceaux d’or | |
Précieux, ni mille arpents d’un sol bien cultivé. | |
Les esprits cupides des hommes sont prisonniers des richesses; | 5 |
Aucune douleur ne nous a appris à nous en détacher dans notre cœur. | |
La piété trouve son contentement en Dieu; celui à qui elle échoit | |
Possède dans sa petite maison les plus grands royaumes. | |
C’est elle que je demande, et je prie qu’elle ne me quitte pas; alors, tout en vivant modestement, | |
Je veux être l’égal même des grands rois. | 10 |
Et si je ne possède pas de palais resplendissant de tapisseries colorées, | |
Ni de lit couvert de la rouge pourpre de Tyr, | |
Ni de plafonds dorés au-dessus de portes de marbre, | |
Qui répandent leur lumière bigarrée dans la maison, | |
Peu m’importe: mon pauvre mobilier me tiendra lieu de richesses, | 15 |
Ainsi que ma maison aux parois entourées d’un treillis d’osier. | |
J’éviterai ainsi les menaces et les froids cruels de l’hiver; | |
La forêt tout près suffira à alimenter mon modeste foyer. | |
À proximité, un précieux champ donnera des raves ou, lorsque sera venu | |
Le temps de la moisson, du blé récolté à pleines mains. | 20 |
Si en plus de cela mon Agathe associe ses joies aux miennes, | |
Alors je posséderai la vie des habitants du Ciel. | |
C’est elle qui me donnera des enfants chéris et une belle jeunesse, | |
En même temps que des étreintes et de douces paroles. | |
Telle est la vie que menèrent nos pères, dans les premiers temps, | 25 |
À l’époque de l’Âge d’or, lorsque régnait l’antique droiture. | |
Alors l’herbe constituait leur nourriture, ainsi que les baies tombées sous l’arbre | |
Et les arbouses que l’on trouvait en pleine promenade, | |
Alors qu’aucun marin n’avait encore fendu l’onde céruléenne sur un bateau, | |
Et que l’on n’avait pas abordé aux rivages de l’Orient. | 30 |
Maintenant, qui pourrait énumérer nos maux? Nous naviguons au milieu de la mer; | |
Une seule terre ne suffit plus au goût du luxe. | |
Nous allons chercher des pierres précieuses gisant aux extrémités de l’Orient, | |
Et nous les transportons sur la mer par des routes pleines de dangers. | |
Ah! Voilà que l’on confie sa vie aux vents rapides | 35 |
Et que l’on supporte d’un cœur audacieux les menaces de la mer! | |
Il faut bien plutôt louer celui qui habite les campagnes | |
De ses pères et vieillit dans une petite maison. | |
Il manie de sa propre main le manche de la courbe charrue, | |
Son fils le précède en invectivant les bœufs au pas lent. | 40 |
Sa fille, derrière eux, les accompagne, et, comme d’habitude, apporte le repas dans des paniers, | |
Ou du lait blanc dans des plats en bois de hêtre. | |
Ensuite une humble table est dressée dans de verts ombrages | |
Où murmure l’eau bavarde au cours glacé. | |
Pendant ce temps, la campagnarde épouse s’occupe de la ferme, | 45 |
Et mange à la maison avec les enfants devant le foyer, | |
Ou même devant la porte; alors la jeunesse campagnarde s’étend | |
Alentour, couchée sur le côté dans le vert gazon. | |
De temps en temps, elle presse un petit fromage frais | |
Et prépare du beurre avec du lait battu, | 50 |
Ou elle tond les frêles brebis, ou marque leurs toisons, | |
Ou dévide de longs écheveaux d’une main rapide. | |
Si mes prières ne sont pas vaines, qu’il me soit permis, en compagnie de ma fidèle épouse, | |
De vivre ainsi pour toujours, et de mourir ainsi. |