Historia animalium: chapitre sur l’âne
Traduction (Français)
Traduction: David Amherdt/Kevin Bovier (notes originales en allemand: Clemens Schlip)
AU LECTEUR
Dans ce volume tu trouveras, excellent lecteur, non pas une simple histoire des animaux, mais aussi, pour ainsi dire, d’abondants commentaires ainsi que de très nombreuses critiques de tous les écrits des auteurs anciens et plus récents à propos des animaux qu’il m’a été permis de voir jusqu’à présent, mais surtout des études à propos des animaux d’Aristote, de Pline, d’Élien, d’Oppien, des auteurs d’écrits sur l’agriculture, d’Albert le Grand, etc. Cher lecteur, cet ouvrage, composé très soigneusement et avec beaucoup de peine, que je n’ai pas conçu et façonné en moins de temps que ce que certains racontent à propos des éléphants, et que maintenant, avec l’aide de Dieu, j’ai enfin mis au monde, il te revient non seulement de l’agréer, mais aussi de faire bon accueil à une si grande entreprise (afin que je puisse également achever le deuxième tome plus rapidement et avec plus d’ardeur) et d’être bien disposé à son égard, et aussi de rendre grandes grâces au Seigneur Dieu, l’auteur et conservateur de tous les biens, qui a créé tant de grandes choses pour la parure de l’univers et pour les divers besoins des hommes, et qui, pour que nous puissions les contempler, nous a donné la vie, la santé, le loisir et le talent.
L’ÂNE
L’âne se dit en grec ὄνος et κιλλός…
[…]
L’âne est un animal qui porte des charges; c’est la bête de somme qui résiste le mieux aux coups et au manque de nourriture; il se fatigue plus tard que les autres bêtes; il supporte très bien la fatigue et la faim; son corps est maigre et laid. Il ne supporte pas le froid; c’est pourquoi le Pont, la Scythie et les terres voisines n’ont pas d’ânes, pas plus que la Celtique (la Gaule située au-dessus de l’Espagne), en raison du froid excessif. Ils sont petits en Illyrie, en Thrace et en Épire, alors que les autres quadrupèdes que l’on trouve sur le territoire de l’Épire sont grands…
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L’âne est lent et sa démarche est paresseuse, et c’est pourquoi il faut le faire avancer à l’aide de coups, auxquels il est très endurant. Il brait d’une voix très rude et discordante: il en est davantage question au chapitre «Philologie». Les férules constituent pour les ânes un fourrage très agréable, alors que pour les autres bêtes de somme elles sont un poison violent: c’est pour cette raison que cet animal est consacré à Bacchus, tout comme la férule. Le basilic stimule le désir sexuel; c’est pourquoi il est aussi consommé par les chevaux et les ânes au moment de l’accouplement. L’âne se nourrit encore de jeunes épines et de fruits des arbres. Mieux encore, si l’on en croit Columelle, on peut avoir un âne même sur un terrain sans pâturage, et il se contente de n’importe quel fourrage…
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L’âne a un caractère des plus sots et une nature dégénérée; c’est un des animaux les plus paisibles; il est doux de tempérament; il est stupide et ne refuse aucune charge, si grande et si pénible soit-elle. Il est incapable de céder la place à ceux qui arrivent en face de lui. Il reconnaît la voix humaine à laquelle il est habitué, et il se souvient du chemin qu’il a emprunté une fois ou l’autre. Les ânes de Mauritanie, une fois qu’ils se sont mis en route, accomplissent leur trajet à une vitesse incroyablement rapide, de sorte qu’on a l’impression non qu’ils courent, mais qu’ils volent. Ensuite, il sont rapidement épuisés par le chemin parcouru: leurs pattes et leur souffle n’ont plus aucune force, et, parce que leurs pattes sont trop fatiguées pour courir, ils sont comme enchaînés sur place, et ils versent des larmes très amères, non tant, à mon avis, en raison de leur mort qui s’approche qu’en raison de la faiblesse de leurs pattes; c’est pourquoi, attachés à des chevaux, ils sont traînés comme s’ils étaient des prisonniers. Le corbeau s’attaque à l’âne et au taureau; en effet, ils fondent sur eux et leur frappent et mutilent les yeux. […] Les loups aussi sont leurs ennemis, puisque ce sont des carnivores; c’est pourquoi ils les cernent. Lorsqu’un âne remarque la présence d’un loup, il tourne la tête de côté pour ne pas le voir, et c’est alors qu’il détourne le regard qu’il est attaqué. En outre l’âne est aussi hostile au lézard; en effet, le lézard dort dans les étables et, montant dans le nez de l’âne, il l’empêche de manger.
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À Cumes la femme prise en flagrant délit d’adultère était conduite sur la place publique, où elle devait s’asseoir sur une pierre à la vue de tous. Ensuite, ils la plaçaient sur un âne et lui faisaient ainsi faire le tour de toute la cité, puis ils la reconduisaient sur la pierre, où elle était à nouveau pour tous objet de spectacle. À la suite de ces événements, elle était déshonorée pour toute la vie, et en raison de son ignominie on lui donnait le nom d’onobatis («montée sur un âne»), sous prétexte qu’elle avait chevauché un âne. La pierre était dès lors considérée comme funeste et de mauvais augure.
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PROVERBES
Un âne égyptien désigne quelqu’un dont tout le monde se moque, que tout le monde tourmente, méprise, déchire, selon Coelius Rhodiginus. Mène un ânon. L’âne porte une charge, Lacon en porte un autre. L’âne d’Antron. Un âne au milieu des abeilles, se dit de ceux qui se retrouvent dans une mauvaise situation: Érasme et la Souda. Le cochon trouve beau le cochon, l’âne trouve beau l’âne. Un âne est un oiseau: Érasme et la Souda. Âne remuant les oreilles: Érasme et la Souda. Il était extraordinairement sot et ressemblait tout à fait à un âne stupide prêt à suivre, en agitant continuellement les oreilles, qui le tirait par la bride: ces paroles se trouvent chez Varinus, qui les cite à partir d’un auteur qu’il ne nomme pas. L’oreille basse, proverbe inspiré des bêtes de somme; il semble qu’on puisse lui opposer celui-ci: L’oreille dressée. Horace dans le premier livre des Satires: Je baisse les oreilles, comme un âne de méchante humeur quand il a porté sur son dos une charge trop lourde. Nous disons aussi que celui qui est frustré de son espoir baisse les oreilles, Er lasst die oren hangen. Des oreilles d’ânes: voir un peu plus bas à propos de Midas. L’âne du maître de bain, à propos de ceux qui ne retirent eux-mêmes aucun fruit de leurs efforts; on dit de même en allemand: Ein karger reycher ists Salomons esel. S’élever des ânes aux bœufs, c’est-à-dire passer d’une humble condition dans le camp des plus riches: on trouve cela dans La Marmite de Plaute, comme nous l’avons dit plus haut.