Lettre de consolation à Aegidius Tschudi
Traduction (Français)
Glaréan salue Aegidius Tschudi bailli de Baden.
Elle m’a tiré des larmes, mon très doux Tschudi, ta lettre où tu pleures la fidélité de ton épouse, en y évoquant le souvenir de la tienne, mais aussi de la mienne, qui autrefois ne me fut pas moins chère qu’à toi la tienne. Mais il en est ainsi des choses humaines: vanité des vanités et tout est vanité. Ces pensées doivent être chassées de notre cœur et il faut crier: que ta volonté soit faite, Seigneur. Que nous le voulions ou non, cela est en fin de compte nécessaire; donc – c’est pour nous une nécessité – nous devons faire sa volonté et penser à la vie future, d’une part celle, vraiment courte, qui nous a été laissée ici-bas, d’autre part celle qui, faisant suite aux larmes d’ici-bas, sera éternelle. Toutes les fois que je repense – et cela m’arrive souvent – aux jours que j’ai vécus jusqu’ici, aux peines dont j’ai été accablé depuis maintenant cinquante ans et au fait que je n’ai jamais eu un instant où je n’aie pas ressenti l’amertume se mêler à la douceur, je considère d’ordinaire le désir que l’on éprouve pour la vie d’ici-bas comme un terrible mal dont les hommes sont frappés dès leur naissance.
Notre jeunesse est accablée par l’ignorance, suspendue à l’espoir et aspirant à une fortune meilleure, et c’est un fléau qui touche tout le monde. L’âge adulte, plein d’inquiétude, en proie aux dangers, comporte bien davantage d’amertume que de joie solide. La vieillesse languissante, qui est déjà en elle-même une maladie, nous apporte d’autres maladies, de sorte qu’il n’y a absolument rien dans notre vie qui ne soit en tout temps pour notre esprit une cause de souci. Seules l’espérance du futur et la contemplation de la vie à venir ont en elles quelque chose de solide. Ici-bas, il n’y a rien d’autre que la séparation, que la division d’avec ceux qui nous sont les plus chers, de sorte que nous ne pourrons nous rencontrer sans bientôt nous séparer et sans qu’une douleur nous soit causée par le souvenir de l’intimité passée. C’est pourquoi, mon cher Aegidius, nous devons penser à la vie future, qui ne peut plus nous faire attendre de nombreuses années. Là-bas, il n’y aura nulle séparation, mais une vie commune éternelle.
Si je viens là-bas chez toi, cela ne peut se faire sinon à grands frais, mais aussi avec bien des fatigues, car je ne suis bon ni à marcher ni à chevaucher. Se faire transporter là-bas en char est très cher. Ensuite, même si j’arrivais chez toi, combien de temps aurais-je la possibilité de rester là-bas? Très peu, assurément et ce serait tout à fait à contrecœur que je me séparerais de toi, et ton souvenir me tourmenterait davantage que si je n’avais jamais été auprès de toi. Il en irait de même si tu venais ici: premièrement, je ne saurais t’accueillir splendidement, comme il convient, deuxièmement, tu n’aurais pas la possibilité de rester longtemps ici. Il ne nous reste donc plus qu’à faire la seule chose que nous pouvons faire: nous charmer de temps en temps mutuellement en nous écrivant. Mais soyons beaucoup plus longtemps ensemble par le cœur. Il n’est pas de jour où je n’implore Dieu pour toi en particulier. Si tu voulais bien faire la même chose pour moi, rien ne me serait plus agréable. Quant au reste de vie que me concédera le Christ, je l’emploierai tout entier à émender des auteurs et à instruire la jeunesse, comme je l’ai fait jusqu’à présent, en attendant quelque récompense sûre auprès de mon créateur.
Je désespère presque de la patrie, à moins que le Dieu très bon et très grand ne tourne son attention vers elle. Car ce magistrat ne fera rien de bon; j’ai commencé à le connaître alors qu’il éloignait d’ici ton Hercule, ou plutôt le mien. Je lui avais fait don de ta petite carte joliment dessinée et tendue sur un morceau d’étoffe. Ce personnage ne daigna jamais, lorsque j’étais tout près, dans la patrie, ni me saluer, ni même me regarder, tant s’en faut qu’il ne m’ait remercié.
À Strasbourg la messe sera à nouveau célébrée dimanche prochain déjà. Que Dieu nous accorde que ce soit sous de meilleurs auspices et un présage plus heureux qu’auparavant. L’empereur enjoint sérieusement aux princes de venir à la diète d’Augsbourg; il veut qu’aucun ne manque, que tous soient présents en personne ou représentés par des légats munis de leurs pleins pouvoirs, afin qu’on ne retarde pas les décrets comme autrefois.
La toux m’a quitté et un rhume tel s’est emparé de moi que j’ai l’impression d’avoir déversé la moitié de mon cerveau par mes narines. Mais j’espère que Dieu me sera propice, qui fait disparaître la mauvaise santé sans les pilules des médecins et les merdes de Calicut. Porte-toi bien et pardonne-moi mes inepties! Donné à Fribourg le 13 mai 1550.