Prosopographia heroum atque illustrium virorum totius Germaniae

Traduction (Français)

Traduction: David Amherdt et Kevin Bovier


1. Guillaume Tell, fondateur de l’alliance helvétique (t. II, p. 310-312)

Ce Guillaume naquit et fut élevé en Helvétie, à Uri. Comme il était pourvu d’une remarquable force de corps et d’esprit, il acquit rapidement une grande autorité auprès des siens. À la même époque, Henri VII de Luxembourg administrait très glorieusement l’Empire romain. Il renouvela les privilèges que ses prédécesseurs avaient accordés aux cantons intérieurs d’Uri, Schwytz et Unterwald, et les honora à Constance de beaucoup d’autres exemptions en récompense de leur vertu, mille trois cent neuf ans après la naissance du Christ. Mais il leur accorda surtout de n’avoir à obéir à aucun prince en dehors de l’empereur, et de n’être déféré à aucun juge si ce n’est au bailli commis par l’empereur. En effet, il y avait alors dans le voisinage des princes d’Autriche très puissants qui cherchaient sans cesse à soumettre ces régions et à les joindre à leur domaine. Mais après la mort de l’empereur Henri à Constance et un interrègne d’environ un an dans l’Empire, les nobles du voisinage harcelèrent les Suisses et leur infligèrent divers préjudices, recevant même secrètement l’aide des ducs d’Autriche, si bien qu’à la fin ces excellents hommes, ruinés, se soumirent spontanément aux princes voisins et implorèrent leur aide contre l’audace des nobles. À cela s’ajoutait que les Électeurs avaient ensuite nommé deux empereurs, Louis IV de Bavière et Frédéric d’Autriche, ce qui occasionna de nombreux tumultes dans toute l’Allemagne. C’est pourquoi les baillis impériaux des Suisses, dont les biens se trouvaient tous aux mains des ducs d’Autriche, prenaient le parti de Frédéric. Mais comme les Suisses s’étaient aperçus que la majorité des Électeurs s’accordaient pour reconnaître Louis, ils accueillirent cet empereur comme s’il avait été nommé légitimement, espérant qu’en vertu de son autorité il pourrait écarter les Autrichiens par la force et défendre les fidèles sujets de l’empire.

(Impudence de Gessler)

Il y avait en ce temps-là à Schwytz et Uri un bailli impérial nommé Gessler. Celui-ci, comme il pensait que la population obéissait à Louis et qu’une partie d’entre elle était moins docile envers lui, envisagea avec une grande arrogance de mettre à l’épreuve les responsables de cette situation. (An de grâce 1382) C’est pourquoi, sur la voie publique d’Altdorf, il fit placer un chapeau sur un bâton et prescrivit de l’honorer avec un grand respect, comme s’il se tenait là en personne. À cet endroit, il plaça des gardes chargés de surveiller ceux qui enfreindraient cet ordre. Comme le noble Guillaume Tell passait par là, il ne se soucia pas de ce signe sans valeur. Comme on le rappelait à l’ordre, il répondit qu’il recevait et honorait toujours le bailli avec le plus grand respect, et qu’il continuerait à le faire; mais qu’il était injuste qu’un homme, une créature de Dieu, fît entourer un vil chapeau d’un tel respect. Apprenant cela, le cruel bailli Gessler donna l’ordre d’appréhender immédiatement Guillaume et de le lui amener, espérant qu’il pourrait obtenir des informations de sa part sur la conjuration de certains individus. Mais comme Tell niait avoir des complices dans cette entreprise, il décida de sonder son esprit d’une autre manière. En effet, après avoir fait venir les enfants de Guillaume, il lui demanda lequel de ses fils il aimait le plus. Comme il le lui avait indiqué, le bailli donna l’ordre d’attacher l’enfant d’une grâce exquise à un poteau et de lui poser un fruit sur la tête. Ensuite il ordonna au père, placé à cent vingt pas de l’enfant, tirer sur le fruit avec une flèche. S’il l’atteignait, il se comporterait avec plus de douceur à son égard; mais que s’il échouait, il devait s’attendre au châtiment suprême; Guillaume, choqué par l’horreur de la situation, chercha à s’excuser et demanda à ce qu’on lui infligeât une autre punition. Mais il racontait une histoire à un sourd. C’est pourquoi, tandis qu’on lui apportait l’arc avec lequel il atteignait bien souvent sa cible avec une habileté admirable, il se prépara à cette tâche et, après avoir consolé son fils et imploré l’aide divine, il suscita chez tous une grande admiration en atteignant le fruit et en détournant le trait de la tête de son fils.

(Habileté de Tell à tirer des flèches)

Alors qu’il se préparait à cet acte, il avait mis une seconde flèche dans son pourpoint, à l’arrière de sa nuque. Comme le bailli en demandait la raison, Guillaume répondit qu’il l’avait fait à la manière des archers qui tenaient toujours deux flèches prêtes lorsqu’ils tirent à l’arc, de manière à pouvoir utiliser la seconde si la première était brisée ou endommagée. Mais le bailli insistait plus vivement, et, pour lui arracher la vérité, lui promit la liberté. C’est pourquoi Guillaume lui dit sans détour que si d’aventure la flèche avait tué son fils, il aurait cherché à atteindre le bailli en personne avec la seconde flèche, car il avait ordonné cette monstruosité. Enflammé de colère par cet aveu, le bailli déclarait qu’il lui avait certes promis la vie sauve, mais qu’il le punirait en l’emprisonnant pour toujours. Il ordonna donc de l’enchaîner et de le mettre dans un bateau pour le faire descendre le long du lac en direction de Lucerne et le transférer dans une prison bien gardée. Alors qu’ils progressaient sur le lac, la providence de Dieu fit qu’une très grande tempête se leva subitement et que des bourrasques fondirent sur le bateau, à tel point que le bailli et les siens furent en grand danger. Les gardes commencèrent alors à exhorter Gessler à libérer Tell de ses liens et à l’installer aux rames, car c’était un homme courageux et très habile dans l’art de la navigation, qui pouvait aisément diriger le bateau et l’amener vers la rive. Détaché pour cette raison, Guillaume prit le contrôle du bateau et le pilota avec une grande dextérité. Or comme il connaissait sur ce lac un énorme rocher situé non loin du rivage, il dirigea rapidement le bateau vers cet endroit. Comme il y arrivait, il saisit soudain son arc et sauta sur le rocher, repoussant avec grande force de son autre pied le bateau vers le lac (cet endroit est encore appelé «dalle de Tell»). On rapporte qu’alors le bailli lui cria qu’il punirait lourdement ce crime et qu’il exterminerait Guillaume avec toute sa famille. C’est pourquoi, comme il s’était approché de la rive, Guillaume observa soigneusement le chemin pris par le bailli. Alors que ce dernier avait lui aussi atteint la rive et qu’il chevauchait sur une route encaissée et profonde en direction d’Uri, Tell l’attendit au-dessus de Küssnacht avec son arc tendu et le transperça d’une flèche quand il passa à proximité, si bien qu’il tomba de son cheval et rendit aussitôt l’âme à cet endroit.

(Conclusion de l’alliance helvétique)

Ensuite il se rendit aussitôt à Uri et annonça à tout le monde ce qui s’était passé. Alors seulement on l’enjoignit d’avoir bon courage et il apprit que plusieurs plaintes avaient été exprimées contre la tyrannie des baillis et des nobles. Pour cette raison Tell, tenant conseil avec quelques autres, conclut secrètement en 1314 l’alliance helvétique qui fut peu à peu renforcée et publiquement acceptée la même année par l’ensemble des trois cantons. (An de grâce 1312.) C’est pourquoi les habitants de cette région, s’unissant avec grand courage, chassèrent les nobles de tout cette contrée, détruisirent de fond en comble leurs châteaux et revendiquèrent la liberté pour leur patrie; eux et leur postérité l’ont très glorieusement gardée inviolée jusqu’à aujourd’hui sous les auspices de Tell, s’opposant aux nobles et aux princes. Stumpf, Chronique de la Suisse, livre 4, chapitre 53.

 

2. Heinrich Lupulus, responsable de l’école de Berne (t. I, p. 51)

Heinrich naquit à Berne, en Suisse, et fut dès son enfance éduqué dans les belles lettres. Comme il avait acquis avec bonheur les rudiments dans sa ville natale, afin de cultiver son intelligence, il se rendit dans des nations étrangères et mit tous ses efforts à étudier les arts libéraux et surtout la poésie. Il fit dans ces domaines de tels progrès qu’il acquit auprès des savants une très grande notoriété. Voilà pourquoi, de retour dans sa patrie, on lui confia la direction de l’école de Berne et on l’invita à expliquer tous les meilleurs auteurs. Il s’acquitta de cette tâche consciencieusement, si bien que ce n’est pas à tort qu’Oswald Myconius, dans la Vie de Zwingli, le désigne comme le premier qui ouvrit une école de belles lettres en Suisse. En effet, tandis qu’il enseignait avec une grande habileté la meilleure littérature, tous les jeunes gens les plus doués, attirés par sa renommée, affluèrent auprès de lui, à Berne. Parmi eux se trouvait aussi Ulrich Zwingli qui, introduit grâce à son enseignement dans les arcanes des auteurs classiques, acquit l’élégance du discours et la connaissance et le jugement des choses; mais il se procura aussi la maîtrise de la poésie, de sorte que, alors qu’il avait reçu de Heinrich le même enseignement que les autres, il fut capable non seulement de composer des poèmes, mais aussi d’émettre un jugement très sûr à propos des poèmes composés par les autres. On a conservé quelques épigrammes de Heinrich, notamment une épigramme en hendécasyllabes phaléciens sur la mort de son disciple Zwingli, ainsi qu’une épitaphe en vers élégiaque sur le même Zwingli. Après avoir de la sorte, durant de nombres années, instruit la jeunesse, il mourut finalement auprès des siens, célèbre pour son âge vénérable, et fut enterré avec tous les honneurs. Dans la lettre sur Œcolampade et Zwingli.

 

3. Johannes Froben, imprimeur bâlois (t. III, p. 94-95)

Johannes s’appliqua dès son enfance aux belles lettres et, après avoir acquis les premiers rudiments dans sa patrie, se rendit à l’Académie de Bâle. Là, il se consacra très consciencieusement aux arts et aux langues et se procura une illustre renommée d’érudit. Ensuite, afin de mieux se mettre au service des études de lettres, il s’appliqua à l’art de l’imprimerie et ouvrit à Bâle un atelier très bien équipé. Il y édita tous les meilleurs auteurs et publia des éditions corrigées de Jérôme, d’Augustin et de pères du même acabit. Il maintint lui-même toujours son atelier à l’écart des écrits polémiques, d’où d’autres tiraient un profit non négligeable. Johannes était en outre doté d’une très grande droiture; même s’il l’avait voulu, il aurait été incapable de simuler ou dissimuler quoi que ce soit, car il y répugnait par nature; il était si prompt et si rapide à rendre service à tout le monde qu’il se réjouissait même si quelqu’un qui n’en était pas digne obtenait une faveur grâce à lui. Sa droiture était si parfaite que ce mot ne convient à personne plus qu’à lui: «On pourrait jouer avec toi à la mourre dans l’obscurité.» Et de même que lui-même n’ourdissait aucune tromperie contre personne, il était incapable de soupçonner rien de tel de quiconque. Il remettait les offenses, même les plus graves, avant que l’offenseur ne l’en priât. C’est pourquoi Érasme, ébranlé par la réputation de cet homme, vint à Bâle et voulut éditer plusieurs de ses travaux dans l’atelier de Froben. Durant quelques années, il vécut avec Johannes dans la plus grande amitié et rivalisa avec lui par divers services rendus.

Arrivé de cette manière à la vieillesse, frappé de paralysie, il mourut à Bâle en 1527, et fut enterré avec les honneurs dans le cimetière de Saint-Pierre, laissant sa famille et toute la cité dans un deuil cruel. En raison de sa mort (comme le dit Érasme), il convenait que tous ceux qui cultivent les belles lettres, vêtus de noir, pleurent et prenne le deuil, ornent son tombeau d’ache et de petites fleurs, l’aspergent d’eau, fassent brûler des parfums, si tant est que de tels honneurs aient une quelconque utilité. Assurément, ce sera faire preuve de gratitude que de prier avec ferveur pour le défunt et que de célébrer sa mémoire par les éloges qui lui sont dus.

Johannes, de la ville d’Hammelburg en Franconie, en même temps qu’Adam Petri, de Langendorff (qui est tout près d’Hammelburg), fut appelé à Bâle par Johannes Amerbach et Johannes Petri, imprimeurs à Bâle. Comme ils leur rendaient d’inestimables services, ils leur succédèrent par la suite et favorisèrent grandement cet art dans cette ville, si bien qu’elle surpasse aujourd’hui largement les autres. Johannes laissa derrière lui son fils Jérôme et son gendre Nicolas Episcopius, qui, ensuite, marchant dans les traces du père, d’un commun accord rebâtirent son atelier et, comme on pouvait attendre de leur érudition et de leur intégrité, éditèrent tous les meilleurs auteurs, de sorte que parmi les amis des lettres, il n’y a rien de plus connu que l’atelier de Froben. Mais dans les dernières années, les destins jaloux nous enlevèrent aussi ces deux hommes, ce qui plongea tous les gens de bien dans le deuil. Mais nous avons l’espoir que leurs enfants ne se distingueront pas moins que leurs pères et que leur grand-père en tout genre de lettres et de vertus; et ils en ont d’ailleurs déjà donné quelques preuves. Or Érasme, pour exprimer sa gratitude envers Johannes, fit placer près de son tombeau l’épitaphe latine et grecque suivante:

Cette pierre aride recouvre les os de Johannes Froben,
     Sur toute la terre elle fleurit, sa renommée qui mourir ne sait.
Il l’a méritée par ses mœurs pures et par les services qu’il a rendu aux études,
     Qui maintenant gisent, affligées, privées de leur père.
Il fit revivre, il orna les écrits des anciens sages,
     Par son art, par sa main, par ses soins, par son argent, par sa bienveillance, par sa foi.
Donnez-lui la vie, dans les cieux, justes divinités, éternelle;
     Sa renommée, grâce à nous, sur terre sera éternelle.

De même:

Ci-gît l’imprimeur Johannes Froben;
À personne d’autre les études littéraires ne doivent davantage.
Ne pleurez pas le mort; car il vit et respire; il respirera pour toujours,
Par son esprit, par sa renommée et par les livres qu’il laisse derrière lui.

Érasme dans une lettre. 

 

4. Théodore Bibliander, théologien zurichois (t. III, p. 262)

Théodore, né en Suisse, grâce à la fécondité de son intelligence, se consacra aux lettres, et jeta à merveille les fondements des arts et des langues. Ensuite, il fréquenta les écoles d’hommes savants et, ayant appris les diverses langues, se consacra à l’étude de la théologie. Il y fit tant de progrès qu’on le considéra comme un homme doué d’une connaissance, d’une éloquence et d’une maîtrise des trois langues hors du commun. À cela s’ajoutaient la piété et la pureté de vie. C’est pourquoi, de retour à Zurich, il fut nommé professeur d’Écriture Sainte. Il accepta cet appel et, longtemps, s’acquitta de cette tâche en s’attirant de grands éloges.

Théodore écrivit de nombreux ouvrages, et il les édita à Zurich et à Bâle vers 1540: un discours au commentaire de la prophétie d’Isaïe; une édition des écrits d’Œcolampade et de Zwingli; il émenda le texte du Coran en comparant les exemplaires latins et arabes, et le munit d’annotations marginales, où il indique l’absurdité, les contradictions, l’origine des erreurs et les corruptions de la divine Écriture de la doctrine de Mahomet et d’autres choses de ce genre. Il traduisit de l’hébreu le prophète Nahum; il expliqua la prédiction au sujet rétablissement d’Israël et enseigna les raisons de faire la guerre aux Turcs. Ensuite, il composa également une grammaire hébraïque et un ouvrage de commentaires sur la langue hébraïque; de même, il composa en quatre livres un ouvrage sur les nombres, les poids et les mesures dans la divine Écriture. Il fit un résumé de la théologie tiré d’Augustin et publia des exposés sur la chronologie. À cela s’ajoute qu’il fit une présentation de la doctrine chrétienne et catholique ainsi que de l’Église, et composa un index du récit évangélique de saint Marc, et de nombreuses choses de ce genre.

Alors que Théodore s’était de la sorte acquis une grande réputation grâce à ses travaux et qu’il avait, finalement, commencé, en raison de l’excellence de son génie, à s’intéresser à des questions nouvelles et jusque-là non traitées, il perdit un peu de son influence. Ensuite, il mourut à l’âge de 50 ans environ, en 1560, et il fut confié à la terre. Conrad Gessner.

 

5. Heinrich Pantaleon, médecin et historien bâlois (t. III, p. 563 et 565)

[…]

Étude conjointe de la théologie et de la médecine

Comme il était naturellement né pour le travail, il ne se formait pas seulement à l’école et à l’église, mais de plus il lut scrupuleusement tous les pères et les écrivains de l’Église, et, se conformant aux vœux des Froben, il réalisa de riches index pour les œuvres de saint Jérôme, saint Basile, saint Hilaire et d’autres. Il eut ensuite aussi l’occasion de rédiger les poèmes funèbres sur un certain nombre d’hommes renommés comme Érasme, Œcolampade, Grynaeus, Karlstadt et d’autres, qui moururent à Bâle, et il composa la comédie nouvelle Philargirus sur Zachée, le prince des publicains, et la publia en 1546. De la même manière, il compila avec grand soin la chronographie de l’Église, qui fut éditée pour la première fois en 1550, puis à plusieurs reprises sous une forme différente, et qui fut accueillie avec grand enthousiasme par tous les savants. En outre, il traduisit en langue vernaculaire, à la demande du sieur Vergerio, quelques-uns des petits livres que celui-ci avait publiés en latin, et donna ainsi aux Allemands l’occasion de les lire. Pour améliorer encore sa formation, aux heures où les autres s’adonnaient aux loisirs, il enseigna pendant deux ans des matières théologiques au collège (par la volonté de ses maîtres), par exemple une partie de l’Exode, le prophète Jonas, l’évangéliste Marc et l’épître de Paul à Tite, qu’il expliqua également dans ses commentaires (ceux-ci n’étaient toutefois pas encore publiés). De plus, il soutint plusieurs disputes théologiques dans lesquelles il confirmait ce qu’il avait expliqué dans son cours. C’est ainsi que le 2 juin 1552, il reçut publiquement sa licence en sainte théologie à Bâle, en présence d’un public nombreux. Comme il s’était ainsi consacré avec succès à l’étude des sciences sacrées et que, malgré cela, il paraissait, aux yeux de nombreux hommes bons et savants, moins doué pour les sermons publics (à cause de son débit rapide et de la précipitation de sa voix), il tourna également son esprit vers l’étude de la médecine, qu’il avait interrompue assez longtemps, et la joignit à la théologie afin de pouvoir servir l’Église et être utile à son prochain de différentes manières. Pour cette raison, pendant une année entière, il enseigna chez lui la médecine à des élèves particuliers, des adultes, et de cette manière, il se remémora constamment les règles de cette discipline.

[…]

Le présent ouvrage sur les hommes illustres

Par la suite, il se mit aussi à envisager la possibilité de publier en latin et en allemand cet ouvrage remarquable sur les hommes illustres d’Allemagne, que beaucoup désiraient. Pour cela, il passa en revue tous les livres d’histoire qui pouvaient lui servir et prêta attention à ce qui était digne d’être mentionné. Plus encore, il écrivit des lettres à plusieurs princes (desquels il était apprécié pour leur avoir dédié des travaux ou en avoir publié à leur intention) ainsi qu’à des hommes érudits qu’il connaissait personnellement, et il leur demanda humblement, puisque cette œuvre nécessiterait un immense labeur, de lui envoyer à l’occasion, à Bâle, les vies des hommes qui chez eux étaient célèbres pour leurs faits d’armes ou leurs écrits. La plupart accédèrent à cette demande par amour de leur patrie. Entre-temps, une peste cruelle fondit sur Bâle. Pour cette raison, alors que lui-même lisait divers traités de médecins sur la peste, il rédigea et publia en 1564 un petit livre sur la peste adapté à l’époque présente, et par la miséricorde de Dieu il fut épargné, tout comme sa famille. Il retourna ensuite au travail qu’il avait entrepris, acheva et publia les deux premiers tomes consacrés aux hommes illustres.

Comme les exploits des Allemands des époques plus récentes n’avaient pas encore été mis par écrit et que chaque peuple ne connaissait que ses propres concitoyens, au début de l’année 1565 il entreprit lui-même (pour achever plus aisément la troisième partie) un voyage à travers l’Allemagne et, accompagné officiellement par un garde à cheval de la ville Bâle, il passa par la Suisse, la Souabe, la Bavière, la Pannonie supérieure, le Norique, la Franconie, la Hesse, le Palatin et la région du Rhin; partout accueilli avec bienveillance par les princes et les nobles locaux, il rentra finalement sain et sauf à Bâle après quelques mois, ayant acquis de nombreuses connaissances; et ce qu’il avait recueilli partout d’hommes dignes de foi, il le rapporta par écrit et publia l’œuvre parfaitement achevée en 1566. Outre les travaux rapidement énumérés jusque-là, il corrigea également les erreurs chez un grand nombre d’auteurs et les publia en les faisant précéder de diverses préfaces ou épigrammes. Heinrich était en effet né pour les lettres et endurait très bien la fatigue, si bien que pendant plus ou moins douze ans, il écrivit chaque matin durant cinq heures de suite, traduisant ou composant quelque nouveauté, et acheva plusieurs feuillets avec bonheur. En outre, gai de nature, bienveillant envers tous, il appréciait singulièrement le travail d’autrui: il voulait toujours être utile à tous et ne nuire à personne. De là vient qu’il était apprécié des princes et des nobles allemands, qui accueillirent toujours avec la plus grande bienveillance les œuvres qu’il leur dédiait et exhortèrent Pantaleon à poursuivre son activité avec zèle. De cette manière, âgé maintenant de 44 ans, il poursuit sa vie à Bâle et, dans son enseignement et ses écrits, il n’omet rien de ce qui peut proclamer la gloire de Dieu et célébrer sa patrie, l’Allemagne. C’est sans doute cela que la postérité appréciera et vantera avec reconnaissance. Conrad Lycosthenes et plusieurs anonymes tout à fait dignes de foi en Allemagne.