Johannes Atrocianus salue son lecteur
Traduction (Français)
Traduction: Kevin Bovier/David Amherdt (notes originales en allemand: Christian Guerra)
Si nous contemplons un peu plus attentivement l’édifice de ce monde, immense et orné au plus haut point d’une beauté ineffable, il nous est impossible, excellent lecteur, de ne pas apprendre à aimer de jour en jour plus passionnément et avec une ardeur plus fervente de notre cœur le Dieu très bon et très grand, ce si grand et si éminent architecte; car il n’a nullement, selon les rêveries vaines et ridicules de certains philosophes, créé le ciel et la terre à partir d’atomes, c’est-à-dire de certaines petites particules indivisibles, mais seulement par la parole. Et bien que cela se situe bien au-delà de la compréhension humaine et dépasse de loin tout éloge, Augustin, l’évêque d’Hippone, très illustre dans l’ensemble du territoire de l’Église pour sa connaissance des lettres tant profanes que sacrées et pour la sainteté de sa vie, juge pourtant plus difficile encore le fait que le même Seigneur, notre Dieu, mû par la miséricorde, pardonne son méfait à celui qui a transgressé sa loi et remet au pécheur le péché qu’il a commis. Nous apprenons donc que le fait que Dieu remet un péché est une œuvre plus importante que le fait d’avoir créé l’édifice du monde. Mais quelqu’un pourrait dire: «Pourquoi a-t-on besoin de ces mots, à présent?» Pour que nous voyions, que nous le voulions ou non, la toute-puissance du roi des rois et du seigneur des seigneurs. Celle-ci brille en retour dans toutes les choses et dans chacune, que tu observes le ciel ou la terre, non sans provoquer l’admiration indicible de ceux qui le contemplent.
Considérons les choses les plus petites. Qu’y a-t-il de plus petit que les pierres précieuses? Qu’y a-t-il de plus fort que les pierres précieuses pour proclamer la toute-puissance de la providence divine? Tu lis chez les auteurs d’histoire naturelle que la pierre précieuse de Médie possède une propriété remarquable contre les douleurs chroniques provoquées par la goutte, qu’elle remédie aussi de manière peu commune à l’obscurcissement de la vue et qu’elle restitue aux personnes épuisées et faibles les forces qu’elles ont perdues. N’es-tu pas instruit de la toute-puissance de celui qui habite dans les cieux, alors même que la réalité qui nous entoure la révèle? C’est aussi ce que nous apprenons en songeant aux excellentes propriétés naturelles de l’émeraude. Car l’émeraude ne veut rien avoir en commun avec l’acte sexuel. C’est ce que nous apprend l’histoire d’un roi de Hongrie (qu’on appelle aussi Pannonie inférieure) qui s’efforçait d’avoir des enfants et pratiquait l’acte amoureux avec son épouse avec au doigt une émeraude: la pierre précieuse se brisa en trois morceaux. De là vient que certains n’hésitent pas à affirmer que celui qui porte une émeraude se préserve de l’impureté de l’acte sexuel et tend vers la gloire de la chasteté. La liparée nous apprend assez que rien n’est impossible pour Dieu. La propriété de cette pierre (du moins si ce que nous lisons est vrai) mérite l’admiration, mais elle est sans aucun doute aussi remarquable par sa taille. Toute bête sauvage qui est traquée par les chiens lors d’une chasse se réfugie aussitôt auprès de cette pierre comme auprès de son protecteur particulier, et la bête devient invisible aussi longtemps qu’elle reste là, de telle sorte qu’elle ne peut être reconnue ni par les chiens, ni par les chasseurs. Et l’héphestite? Ne manifeste-t-elle pas clairement la puissance infinie d’une divinité incommensurable? Si cette pierre est jetée dans l’eau bouillante, le bouillonnement de l’eau s’arrête immédiatement et l’eau qui était bouillante devient froide. Et l’hexécontalithe? Ne produit-elle pas le même effet que l’héphestite? On dit que cette pierre, l’hexécontalithe, quoique vraiment très petite, est pourtant parée d’un grand nombre de couleurs, puisqu’elles sont soixante. Qui nous empêchera de révéler à ce sujet ce que nous avons découvert dans la littérature sur la nature du jais? Cette pierre apporte une aide non négligeable à ceux qui sont atteints d’hydropisie et, à ce qu’on dit, elle stabilise et affermit les dents chancelantes pour qu’elles ne tombent pas. Elle fait aussi descendre et couler les règles, et elle éloigne les serpents. Et ce que nous croyons surtout digne de mémoire, c’est ce qui suit à présent: si une vierge boit un filtrat de jais avec ses copeaux, il ne fait aucun doute qu’elle le retiendra et qu’elle n’urinera pas. Si en revanche elle n’est pas vierge, mais impure, elle urinera sur-le-champ. On lit que la toute-puissance divine n’a pas donné une propriété de moindre importance à la galactite. Si les nourrices la portent attachée autour de leur cou, leurs seins donneront du lait en abondance. Les femmes qui souffrent lors de l’accouchement accoucheront beaucoup plus facilement si elles ont cette pierre attachée à la cuisse. Les bergers d’Égypte disent que si, le soir, on répand dans la bergerie de la galactite broyée avec du sel et mélangée à de l’eau, les mamelles des brebis se remplissent de lait et la honte de la gale s’écarte d’elles. Quelle puissante propriété le Seigneur a donnée à l’aimant, nous pensons que chacun en connaissance. C’est pourquoi nous ne présenterons ci-après qu’un seul exemple. On dit que l’aimant placé sous la tête d’une femme endormie se distingue par une propriété remarquable: si elle est chaste et innocente de tout crime d’adultère, il la pousse aussitôt vers l’étreinte de son mari. Mais si elle souffre du mal de l’adultère, elle tombe du lit à cause de la terrible crainte qui lui vient de ses chimères. Le créateur de toutes les choses visibles et invisibles n’a-t-il attribué aucune puissance à la pierre qu’on appelle nichomar? Bien sûr que si. Laquelle? Entre autres le fait que le nichomar conserve les corps des défunts dans leur état de fraîcheur pour qu’ils ne sentent pas mauvais. C’est pour cette raison que l’on trouve des tombes et des mausolées très anciens construits avec cette pierre.
J’ai voulu faire ces commentaires ainsi que d’autres sur les propriétés des pierres précieuses pour te soutenir, lecteur passionné de littérature, afin que l’entrée dans les demeures des plantes te soit plus commodément accessible. En effet, ce qui est révélé et très clairement exposé par les pierres précieuses à tous les mortels un tant soit peu avisés, c’est que celui qui est trine et un, α et ω, commencement et fin, a exprimé sa toute-puissance autant par les plantes que par les pierres précieuses. Vois combien d’éminentes propriétés le nard a reçus du Seigneur. En effet, il fortifie le foie si on le boit, il soulage les maux d’estomac, il est très utile à la vessie, il fait couler l’urine et les règles, aide prodigieusement ceux qui souffrent de jaunisse; le nard détend les utérus endurcis et redonne de la vigueur aux impuissants pour l’acte amoureux. Que peut faire l’ivraie grâce au don de la divinité? Elle guérit efficacement la maladie qui, si on n’y remédie pas, envahit tout le corps comme un cancer; elle apaise le mal ignoble de l’impétigo ainsi que la lèpre très impure, si on y ajoute du raifort et un peu de sel; elle supprimera la masse très déplaisante que provoquent les scrofules et les abcès, si tu en fais un pansement. Et la morelle? Son suc empêche les douleurs aux oreilles, fait disparaître les fistules lacrymales des yeux, soigne les parotidites, contient les écoulements excessifs des règles; grâce à elle l’érysipèle brûle moins fort, les ulcères qui mordent la peau sont chassés. Et la menthe? Elle fortifie surtout l’estomac, coupe l’envie de vomir, repousse fortement les vers intestinaux, remédie hardiment aux diverses maladies des testicules. Veux-tu soigner une morsure de chien? Applique sur ta blessure de la menthe bien broyée avec du sel et elle guérira. Si elle est mélangée à du vinaigre, la menthe est très utile à ceux qui toussent du sang. Et le marrube? Cette plante, préparée de manière appropriée, aide les asthmatiques, calme la toux, hâte les accouchements, expulse les secondines et les bébés qui refusent de sortir, débarrasse les blessures de leurs impuretés. Et la buglosse? Convenablement préparé, il apporte son aide à la bile, soulage de la même manière celui qui souffre de l’estomac, apporte un bienfait non négligeable aux poumons, guérit miraculeusement la sciatique. Bois souvent du vin dans lequel on a fait macérer la buglosse et tu conserveras la vivacité de ta mémoire. Répands-le parmi les convives et ils seront joyeux. Et la roquette? Si tu sens que ta capacité de digestion diminue, mange de la roquette, et ce que tu pensais avoir perdu reviendra. Tu ne peux pas uriner? Recours à la roquette, et elle t’aidera. Ton visage est couvert de lentigos? Implore l’aide de la roquette, et les taches seront tenues à l’écart. Si ton épouse se plaint que tu ne peux pas lui donner ce que tu lui dois, invoque le divin pouvoir de la roquette: elle te fournira une aide infaillible et tu t’acquitteras de ton dû envers ton épouse. Et la laitue? Des ardeurs immodérées te brûlent? Mange de la laitue et elles s’éteindront. Tu ne parviens pas à trouver le sommeil? Mâche de la laitue et tu pourras te reposer. Tu es tourmenté par les vaines chimères de tes songes? La graine de laitue y mettra un terme.
Mais tu diras peut-être, excellent lecteur: «Nous savons certes que la toute-puissance de Dieu ne se dissimule pas, même dans les plus petites choses. Parmi elles, les pierres précieuses et les plantes n’ont pas revendiqué pour elles-mêmes la dernière place. Et comme tu as présenté beaucoup de choses salutaires sur les plantes, de même que sur les pierres précieuses, je suis saisi par le désir hors du commun de lire un auteur traitant des propriétés des plantes.» Je vais te présenter, excellent lecteur, celui qui a écrit sur ce sujet avec érudition et concision. C’est Macer, un auteur très fiable en matière de plantes, qu’un homme très cultivé et qui se recommande par ses mœurs exemplaires, Johann Faber d’Embt près de Jülich, a imprimé en le débarrassant de ses innombrables erreurs, non seulement pour en tirer un bon petit profit, mais aussi pour l’utilité commune de tous les lettrés. Et d’après ce qu’on peut tirer des citations d’auteurs sur ce même Macer, on suppose qu’il y eut trois Macer. Le premier a vécu à l’époque d’Ovide, le deuxième à l’époque de Pline [le Jeune]; quant au troisième qui a, semble-t-il, écrit cette œuvre très utile, nous ignorons à quelle époque il a vécu précisément. Volterranus a écrit à propos du premier: «Aemilius Macer, un poète de Vérone, a chanté les oiseaux et les propriétés des plantes à l’époque d’Ovide, comme celui-ci en témoigne:
Souvent le vieux Macer me fait la lecture de ses oiseaux,
Du serpent qui est nuisible, de la plante qui est utile.
Mais il poursuit également l’œuvre d’Homère, racontant tout ce qui s’est passé à Ilion jusqu’à la fin de la guerre, comme en témoigne le même poète:
Toi, tu chantes tout ce que l’éternel Homère avait encore à chanter,
Afin que la guerre de Troie ne soit pas privée de la dernière main.
Mais c’est son œuvre sur les plantes qui est parvenue jusqu’à notre époque.» Voilà ce qu’il dit. Quant au deuxième Macer, Pline [s’adresse à lui] au livre 3 de sa correspondance, dans une lettre qui commence ainsi: «Cela me fait très plaisir que tu lises avec tant d’assiduité les livres de mon oncle, au point que tu veuilles tous les posséder et que tu me demandes lesquels sont de lui. Je jouerai le rôle d’indicateur et te ferai même savoir dans quel ordre ils ont été écrits.» Et il dit à la fin de la lettre: «J’ai cependant la conviction que ces propos ne te seront pas moins agréables que les livres eux-mêmes, car ils peuvent non seulement t’inciter à les lire, mais aussi, par les aiguillons de l’émulation, à élaborer quelque chose de similaire.» Voilà ce que dit Pline. Tu verras très peu de choses dans mes scholies sur le troisième Macer, l’auteur de cette œuvre, désormais publiée avec plus de soin pour la première fois. Pourtant, je soutiendrais pour ma part que le Macer de Pline était l’auteur de cette œuvre. Preuve en est que Pline l’exhorte à élaborer un ouvrage similaire. Mais que chacun en juge librement. Rien n’empêche de citer Pline. Mais si quelqu’un mentionnait un Macer plus récent, on pourrait bien penser que ce n’est qu’un demi-savant; car certains ont coutume d’enlever et d’ajouter, de retrancher et d’adjoindre ce qu’ils veulent aux œuvres des hommes instruits. Des exemples quotidiens le prouvent. Toutefois, cela se faisait plus librement à cette époque où l’on ne connaissait pas l’art très noble et jamais assez loué de l’imprimerie. Ce n’est donc plus vraiment permis aujourd’hui. Et bien que le poème de Macer soit assez élégant, on y a cependant ajouté, pour le lecteur plus exigeant, le très élégant Hortulus du Franc [Walafrid] Strabon. Voici ce que l’abbé de Sponheim écrit sur ce Strabon dans son Livre sur les auteurs ecclésiastiques: «Strabon, moine de Fulda, d’origine allemande, autrefois élève et secrétaire de l’abbé Raban [Maur], un homme instruit dans les saintes Écritures et remarquablement savant dans l’étude de la littérature profane, à l’esprit subtil et au discours clair, a écrit sur les livres saints et livré un nombre non négligeable d’opuscules, dans lesquels il s’est montré un homme savant et a transmis glorieusement son nom à la postérité. Imitant donc son maître, l’abbé Raban, il a écrit un livre sur la Genèse, un livre sur l’Exode, un livre sur le Lévitique et bien d’autres encore. Enfin on se souvient que ce Strabon a été le premier à composer la Glose qu’on appelle maintenant «Ordinaire», sur toute la Bible d’après les proverbes des saints pères; d’autres auteurs l’ont enrichie par la suite en y ajoutant de nombreuses sentences des Pères. Il s’est illustré sous l’empereur Louis [le Pieux] en l’an 840.» Voilà ce qu’il en dit. Pour ma part, j’ose dire librement que Strabon a mérité une louange éternelle pour son Hortulus très printanier; si j’ai vu quelque chose de plus printanier que cela, que je périsse!
Porte-toi comme un charme.
Après le catalogue des plantes:
Onofrius Atrocianus.
Durant bien des années, il ne parut guère d’ouvrage
Plus utile, plus profitable que celui de Macer.
Toutes les erreurs qui avaient corrompu l’auteur lui-même,
Une main serviable les a supprimées et effacées.
Que les enfants, les jeunes et les vieillards se hâtent donc de venir ici
Pour apprendre à chasser les maladies graves avec habileté.