Pèlerinage en Terre Sainte et en Egypte
Übersetzung (Französisch)
Übersetzung: David Amherdt/Kevin Bovier (notes originales en allemand: Clemens Schlip)
1. Arrivée à Jaffa (p. 83-85)
Le 21 août nous levâmes l’ancre et naviguâmes le long de la côte et, à l’heure du repas de midi, avec l’aide de la grâce de Dieu, nous accostâmes à Jaffa, la principale ville de Palestine. Nous jetâmes l’ancre à 1000 pas du port et attendîmes à cet endroit. Peu après, le capitaine, avec quelques-uns de ses hommes, monte sur une barque et se rend à Jaffa, pour envoyer de là une lettre au gardien des frères mineurs du mont Sion, afin que celui-ci annonce au gouverneur de la ville de Jérusalem l’arrivée des pèlerins et obtienne pour nous la permission de débarquer, puis, comme c’est l’usage, nous fasse escorter et nous donne toutes les informations nécessaires. En effet, sans cette lettre qu’on appelle sauf-conduit, personne ne peut sans danger toucher la terre ferme. Le capitaine salue donc le gouverneur de Jaffa et conduit l’homme, ainsi que quelques Turcs, Juifs et Maures, sur le bateau et les reçoit pour le repas de midi; l’homme, après avoir ôté ses chaussures seulement et s’être assis par terre, comme c’est la coutume chez les Turcs, se comporta assez décemment durant le repas; mais un autre, de race maure, outre le fait qu’il buvait considérablement durant le repas, chantonnait aussi parfois et se montrait très enjoué. Après avoir mangé et terminé le repas, le gouverneur rattacha ses chaussures à ses pieds et s’en alla avec sa suite. Sur ces entrefaites, comme nous étions oisifs, et pour ne pas rester à rien faire, en présence de tous les passagers, nous fîmes l’inventaire des biens du défunt, et certains d’entre nous, en tant que témoins, le signèrent même de leurs noms. Mais parce qu’il était décédé sans testament, le capitaine garda pour lui tous ses biens, malgré les réclamations de certains; il y avait une assez grande quantité d’argent et d’autres choses bien jolies, comme c’est l’habitude des pèlerins, surtout des riches, dont cet homme faisait partie.
2. Arrivée à Jérusalem (p. 93-96)
Et ainsi, enfin, à midi, nous arrivâmes à Jérusalem, que nous avions tant souhaité voir! Là, nous fîmes 9000 pas à droite pour contourner les murailles, nous gravîmes le mont Sion et nous fîmes halte chez les frères mineurs. De nos jours, ce monastère est situé hors des murailles, alors qu’autrefois, cependant, le mont Sion tout entier et ses alentours faisaient partie de la place forte (en effet, le palais royal de David avait été construit sur cette montagne, où vivent maintenant les franciscains). Nous fûmes accueillis avec beaucoup de bienveillance: les moines lavèrent aussitôt les pieds des pèlerins et, tout en les lavant, remplis de joie, chantaient des psaumes; ils offrirent tout de suite après un copieux repas à tous les pèlerins; le repas achevé, et après que nous eûmes rendu grâce au Dieu tout puissant, le gardien, après avoir prié, prononça un discours, s’exprimant à peu près de la manière suivante. C’est pour une double raison que les pèlerins ont coutume de venir à Jérusalem; premièrement, certains sont animés par un zèle excellent, seulement poussés par la piété, de visiter la terre sainte que le Christ foula de ses propres pieds et où il accomplit beaucoup de choses pour le salut des croyants; ensuite, certains ont la passion de faire beaucoup de voyages et de connaître un très grand nombre de choses (puisque, comme en témoigne Aristote, nous sommes tous par nature avides de savoir); ceux-ci entreprennent le pèlerinage surtout pour cette raison. Au reste, il ne doutait pas le moins du monde que nous étions ici par dévotion; c’est pourquoi, afin que nous soyons en mesure de réaliser plus facilement et plus sûrement ce désir, et de nous rendre au Saint-Sépulcre et dans les autres lieux saints plus dignement et avec plus de profit, il nous conseilla de nous débarrasser du vieux ferment par la confession, suivant en cela Saint Paul, en choisissant à notre guise des confesseurs pour nous absoudre de tous nos péchés et fautes, mise à part la falsification des bulles apostoliques; ainsi, par la bienveillante intercession de Dieu, nous recevrions avec plus de dignité le très saint corps du Seigneur pour le salut de nos âmes. Pour le reste, comme le peuple chrétien est divisé en deux, les clercs et les laïcs, tous les prêtres, en raison de leur rang supérieur, demeureraient dans le monastère en compagnie d’un petit nombre de nobles; il aurait volontiers accueilli tous les pèlerins, si l’étroitesse du lieu ne le lui interdisait et ne l’en empêchait pas; mais les autres seraient logés assez confortablement en ville, dans la maison d’Anne, à – côté des murailles, en tenant compte du lieu et de son caractère sacré; mais, pour un meilleur confort, on remettrait à chacun des couvertures et des coussins; et le monastère fournirait à tous les pèlerins vin et pain en abondance; pour ce qui est des autres victuailles, nous devions les acheter nous-mêmes, leur cuisinier se chargeant d’apprêter tout cela en un bon repas. Enfin, c’était l’habitude d’offrir trois banquets à tous les pèlerins, le premier à leur arrivée, le deuxième lorsqu’ils se rendraient au Jourdain et dans la vallée de l’Hébron, le troisième à leur départ. Il avait offert le premier et il nous priait instamment de lui faire bon accueil; mais il nous demanda de lui indiquer tous les désagréments ou les embarras qui se produiraient; car il se montrerait pour nous tous un père, pour ce qui est de nous défendre, un frère, pour ce qui est de l’amitié, et il promit que ses actes correspondraient sans aucun doute à ses paroles. Il tint sa promesse dans les moindres détails, et ses actes furent non seulement à la hauteur de ses paroles, mais ils les dépassèrent même.
3. Bethléem (p. 118-120)
Par ailleurs, à quatorze pas, près du monastère de Bethléem, se trouve une grotte assez spacieuse à l’intérieur, mais dont l’entrée est très étroite; dans cette grotte, la Vierge Mère et l’Enfant Jésus se cachèrent quelques jours, à ce qu’on dit, avant de pouvoir partir en toute sécurité pour l’Égypte; dans cette caverne, on dit qu’elle laissa tomber du lait dont elle l’allaitait, et c’est pourquoi la terre à cet endroit semble plus blanche qu’ailleurs; or on dit que, lorsque les femmes sont privées de lait, cette terre est bénéfique et qu’elle les guérit, et c’est pourquoi les pèlerins en ramènent de la poussière chez eux. En outre, à Bethléem, tant le monastère lui-même des frères mineurs que l’église, qui fut érigée à grands frais, et dont le bâtiment, soutenu par 50 colonnes de marbre, est remarquable, furent réalisés par sainte Hélène. Les voûtes du temple sont décorées par des peintures et des lettres d’or, aussi bien grecques que latines; quant au sol, il fut recouvert d’un marbre très précieux, et à l’époque il se distinguait à tous égards d’extraordinaire façon (comme on peut facilement le constater); maintenant, cependant, il est en ruine à beaucoup d’endroits et menace ruine, et la cause évidente en est qu’autrefois les princes chrétiens avaient l’habitude de dépenser davantage qu’aujourd’hui pour ce genre de constructions. Il y a des années, le duc de Bourgogne le fit recouvrir de plaques de plomb et le fit ainsi restaurer; mais maintenant il laisse à nouveau passer la pluie à de nombreux endroits, de sorte qu’il aurait besoin d’un nouveau duc et d’un prince semblable au précédent. Sous le chœur se trouve la crypte, dans laquelle fut érigé un autel, sur le lieu même où la vierge Marie donna naissance à l’Enfant Jésus. Près de l’autel, à droite, on peut aussi voir la crèche, dans laquelle le roi des rois, couché entre deux animaux, fut protégé par leur haleine contre les injures de l’hiver et contre les désagréments du froid; de même, dans le dernier coin de sanctuaire, on montre une ouverture, où l’ont dit que l’étoile (qui montrait le chemin aux trois mages qui se rendaient à cet endroit) disparut. C’est pourquoi nous passâmes la nuit à cet endroit; nous fûmes reçus avec une grande bonté par les moines.
4. La tempête sur la mer (p. 160-162)
C’est pourquoi, alors que nous naviguions, un vent contraire et la mer elle-même en fureur nous ballottaient çà et là, et, pour le dire en deux mots, nous semblions nous trouver dans le danger le plus extrême; preuve en est que certains des pèlerins se préparèrent à la mort en confessant leurs péchés. Or nous étions presque tous couchés sur le sol et misérablement ballottés çà et là. Le 13 octobre vers midi, la tempête se calma quelque temps, mais peu après elle commença à faire rage de la même façon que naguère, de sorte que nous eûmes aussi peur qu’auparavant, et même presque davantage; ce que l’on peut aussi reconnaître par le fait que certains adressèrent des vœux à Dieu; les voiles étaient entièrement à la merci du vent (au grand regret des marins qui résistaient de toutes leurs forces), qui nous portait vers Alexandrie avec la plus grande violence; c’est pourquoi, au milieu de la mer, des tempêtes encore plus violentes se déchaînèrent, dont l’une, qui se distinguait des autres par sa hauteur étonnante, se dirigea tout droit sur le bateau; le capitaine, qui l’avait vue arriver, pensa que c’en était fait de notre salut; mais, contre toute attente, le navire, passant au milieu de la tempête, reçut des deux côtés une grande quantité d’eau, ce qui s’avéra extrêmement désagréable pour ceux qui étaient couchés. Mais les matelots, toujours dans l’impossibilité de dormir, puisaient sans cesse l’eau qui était entrée, s’efforçaient de diriger les voiles et de faire leur devoir. En outre, le fait que le navire n’était pas chargé de sel fut sans doute la cause du salut pour tous, puisque le sel mêlé à l’eau se transforme immédiatement en eau. C’est pourquoi, le 14 octobre, au petit matin, le capitaine ordonna d’apporter l’eau du Jourdain et les autres objets venant des lieux saints que nous avions, sous peine d’excommunication, et, lorsque nous les eûmes apportés, il les fit jeter à la mer. Mais nous, nous étions toujours emportés par la violence du vent, malgré le fait que nous n’avions la plupart du temps qu’une seule voile, toute petite, et entre-temps, à part le vin, le pain et je ne sais quel fromage, il ne restait plus rien pour nous nourrir, et on nous affirma même que l’eau elle-même était venue à manquer. C’est pourquoi ce jour-là (qui était le samedi), certains d’entre nous, contre leur gré, se nourrirent de viande, en raison du manque d’autres nourritures.
5. Impression de la ville musulmane du Caire (p. 183-184)
Or cette ville est remplie de temples, et, bien qu’ils n’utilisent pas du tout les cloches, ils ont cependant de très nombreuses tours d’une grandeur étonnante, très semblables à ce qu’on appelle des clochers; elles sont unies aux mosquées, et ont des sortes d’escaliers qui en font le tour, que leurs gardiens montent à des heures fixes tous les jours, pour annoncer au peuple à haute voix tant leurs cérémonies que les heures; en effet, ils utilisent ces appels à la place des horloges, dont ils sont par ailleurs totalement dépourvus. Or au milieu de la nuit, ils annoncent que le peuple doit se multiplier, afin que, celui-ci grandissant, leur foi aussi soit multipliée. Il y a une autre coutume: ils achètent pour ainsi dire les épouses qu’ils marient à leurs parents; ils ont ensuite le droit de les répudier et de les vendre à d’autres selon leur bon plaisir; n’importe qui, dans la mesure de ses moyens et selon son désir, peut avoir les femmes et les concubines qu’il veut. Ils honorent le vendredi (comme nous le dimanche), mais de telle sorte cependant qu’ils ne s’abstiennent absolument pas ni du commerce ni du travail, et même le jour de leur Pâque ils vendent des marchandises, en laissant ouverts leurs ateliers. En outre, ils utilisent l’écriture et la langue hébraïques, mais sous une forme très dégénérée. Pour l’instant, ils n’ont pas d’imprimeur; c’est pourquoi ils estiment que le schisme de notre foi vient de l’imprimerie.
6. Les chameaux (p. 187-188)
Du reste, pour notre voyage, les chameaux sont beaucoup plus confortables et adaptés que les autres bêtes de somme, parce que c’est un animal qui supporte étonnamment bien l’effort, la faim et surtout la soif. En effet, un seul chameau porte facilement autant de poids que trois chevaux et ils trouvent leur nourriture sur des pâturages très rudes et couverts de buissons ou sous la forme de quelques fèves, et enfin ils peuvent facilement rester trois jours sans boire. En outre, ces bêtes, bien qu’à première vue elles paraissent sauvages aux yeux de ceux qui ne les connaissent pas, avec leurs pieds et leurs pattes très longues, leur cou mince, long, arrondi, leur tête petite, mais d’aspect plutôt féroce, et leur cri étonnant, contre toute attente, cependant, on remarque qu’elles sont dociles et obéissantes, et que, suivant la volonté et l’ordre de leurs maîtres, elles se mettent à genoux et même sur le ventre, et, couchées à plat sur le sol, sont habituées à se laisser charger et décharger très facilement, et à prendre la nourriture qu’on leur présente et à dormir.
7. Attaques de brigands dans le désert égyptien (p. 196-200)
Le 18 novembre, nous nous levâmes très tôt et nous avançâmes par des vallées assez belles couvertes de buissons; nous nous reposâmes plus tôt qu’à l’ordinaire, pas très loin de l’eau (en effet, ceux qui font route doivent surtout faire attention aux sources, car les voyageurs ne peuvent parfois pas accéder à une source durant deux ou trois jours). Cette nuit-là nous fîmes de très grands feux de buissons, alors que, la plupart du temps, en raison de l’absence totale de bois et de buissons, les Arabes entretiennent le feu avec des excréments de chameaux qu’ils ont ramassés, et y jettent une pâte de farine et d’eau préparée à l’avance, et produisent ainsi au feu des pains encore plus délicieux que les nôtres; cependant, ils utilisent cette nourriture de manière très parcimonieuse et frugale (d’ailleurs, ils étaient parcimonieux même si nous leur proposions quelque chose à manger). Or, alors que nous étions assis près du feu, un Arabe à dos de chameau arriva vers minuit; il fut peut-être la cause du malheur que nous subîmes le lendemain, car il avait prévenu les autres brigands de notre arrivée. En effet, bien que nos guides l’eussent reconnu et accueilli avec bienveillance, ils nous firent comprendre par des signes qu’il fallait aussitôt éteindre le feu, afin d’éviter d’être dévalisés pour avoir été vus de loin. Le 19 novembre, alors que nous avions un peu avancé, il se mit à pleuvoir; nous étions déjà d’humeur plus joyeuse (car nous pensions avoir échappé à tout danger, étant tout proches du monastère), mais il nous arriva le plus terrible des malheurs. En effet, des brigands nous assaillirent très violemment, à l’improviste, non loin du monastère. Ils attaquèrent trois des nôtres et les obligèrent à descendre immédiatement de chameau; ils abandonnèrent l’un d’eux après l’avoir roué coups, mais ils traitèrent le deuxième beaucoup plus mal encore, car il avait osé reprendre un coussin qui lui avait été enlevé de force et même courir après eux: ils lui mirent des couteaux et des poignards sur la gorge, de sorte que, alors qu’il continuait de résister, il échappa finalement de justesse à la mort; car nous apprîmes plus tard que notre outre (elle était faite de peau de chèvre et servait à transporter l’eau, et il s’en était servi pour se protéger comme d’un écu ou d’un bouclier) avait été perforée à coup de glaives à plusieurs reprises par ces scélérats. Mais ils s’en prirent au troisième de manière beaucoup plus cruelle et sauvage, le frappèrent très violemment, le dépouillèrent de ses vêtements avant de l’abandonner; ils se dirigèrent ensuite vers le deuxième. D’ailleurs le premier, faisant preuve de beaucoup de prudence, comme il avait deux bourses, cacha l’une d’elles, qui était remplie d’or, sous son genou, tandis qu’il gardait l’autre, qui contenait de la monnaie sans aucune valeur, sur sa poitrine. À peine avait-il pris ces dispositions que les brigands, abandonnant l’autre, l’assaillirent à nouveau très violemment, car le vêtement ne leur suffisait pas; ils brandirent vivement leurs poignards et leurs couteaux, le frappèrent et lui tirèrent la barbe, le torturèrent terriblement en le saisissant par les testicules, puis le soulevèrent en l’air et le précipitèrent cruellement sur le sol (ils auraient voulu le transporter dans la montagne voisine, mais il était trop lourd pour eux); puis, aussitôt, ils se mirent à arracher ses vêtements et à le dépouiller totalement, afin de pouvoir plus facilement trouver les pièces de monnaie. Ainsi, alors qu’il avait presque déjà été déshabillé jusqu’à sa chemise, immédiatement il sortit, de manière assez avisée, la bourse de moins de valeur et la leur tendit pour la leur remettre. Alors les bandits, pensant avoir déjà obtenu ce qu’ils cherchaient, le laissèrent à moitié nu et s’éloignèrent un peu; quelques-uns de nos guides les accompagnèrent; bien qu’ils semblassent nous défendre contre ces hommes et que pour cette raison ils avaient aussi rendu à leur maître le vêtement en lambeaux qui lui avait été arraché de force, ils n’étaient pas pour autant lavés de tout soupçon; bien plus, on pouvait supposer que, si ces gens avaient fait un plus grand butin, ils auraient eux aussi reçu une part des dépouilles, tant il fallait se méfier de tout le monde. Du reste, alors que les voleurs avaient contre toute attente découvert les pièces de moindre valeur et des monnaies qu’ils ne connaissaient pas, ils firent d’abord rendre par nos guides la bourse avec quelques pièces, puis lui proposèrent de racheter le reste de l’argent, en affirmant qu’ils nous l’avaient extorqué en vertu d’un quelconque droit de passage. Mais s’ils avaient trouvé de l’or, il eût été à craindre qu’ils ne lui eussent rien restitué et que nous eussions tous couru un danger tout à fait évident sur le chemin de retour, parce que, estimant que nous étions tous riches, ils nous auraient sans doute tous dépouillés. Ainsi, malheureux et pleins d’angoisse, nous reprîmes le chemin, car il ne nous semblait pas du tout indiqué de leur résister, en raison du fait qu’ils nous dépassaient facilement en nombre et en force; à midi, nous parvînmes au monastère.
8. Les percepteurs de douane malhonnêtes, les Turcs amicaux, la maladie et le départ (p. 226-230)
Le 30 janvier 1543, à l’aube, nous parvînmes à Rosette. Là, comme je remettais quelques lettres au consul, qui était encore couché au lit, je fus si longtemps retenu par lui que je dus monter sur un âne qui, après avoir fait un peu de chemin, manqua soudain de force, au point que je fus contraint d’avancer à pied et d’abandonner mes compagnons, ce qui, à vrai dire, ne fut pas sans danger pour moi. C’est ainsi que je tombai sur des percepteurs de taxes malhonnêtes, qui exigèrent beaucoup plus que ce qui était juste, parce que j’étais seul et ne connaissais pas leur langue; et non content de cela, l’un d’entre eux, m’ayant poursuivi (non sans mettre ma vie en danger), et exigea encore plus. Pour ma part, comme je me doutais que cela arriverait, j’avais déjà mis de côté quelques pièces, et après les lui avoir toutes remises, je lui montrai ma bourse vide, lui faisant ainsi comprendre qu’il ne me restait plus d’argent; je crois que c’est surtout cela qui me sauva, car il était très fort physiquement et, en plus d’un énorme bâton, qu’il avait avec lui, il s’approcha dangereusement de moi, maniant dans ses mains un poignard. Pour ma part, je n’étais même pas armé d’un petit couteau et je mis tout mon espoir en Dieu et dans les pierres (qui était très peu nombreuses), reculant aussi loin que possible, pour éviter qu’il ne me surprenne et ne me massacre à l’improviste. Du reste, il finit par me laisser (pensant sans doute que je n’avais pas d’argent et que j’étais au moins armé d’un petit couteau). Alors, ayant laissé ce danger derrière moi et plus qu’épuisé, il me restait encore à faire le reste du chemin, non sans courir un très grand danger pour ma vie, d’autant plus que je devais traverser de nombreux villages et campements. Mais voici que presque au milieu de notre voyage, alors que l’âne (car comme d’habitude, il s’était laissé tomber à terre lorsque j’avais voulu le monter) et moi-même, tous deux également fatigués, nous reposions, quelques Turcs, qui avaient fait le voyage par bateau avec nous jusqu’à Rosette, arrivent à l’improviste; ils me reconnurent et me firent comprendre le danger de me coucher et de dormir seul en chemin, et me persuadèrent facilement de me joindre à eux, affirmant qu’ils allaient aussitôt se reposer et qu’ils repartiraient de bonne heure le lendemain; moi, leur faisant confiance (ils me semblaient être des hommes dignes de confiance), je les suivis, même si j’étais presque sans forces; mais eux, se déplaçant avec rapidité, parvinrent aux murailles d’Alexandrie à minuit et se reposèrent dans une maison à proximité de la ville; quant à moi, j’étais à ce point épuisé que, terriblement assoiffé, comme jamais auparavant, j’avais bu plus d’eau que de raison en dînant, et comme j’avais dormi toute la nuit exposé au vent, je contractai une toux et une fièvre très dangereuses. Le 31 janvier, dès que les portes furent ouvertes, nous pénétrâmes dans la ville, où, dans la maison de Français où nous avions déposé nos bagages, j’aurais pu demeurer très confortablement, si la maladie ne m’avait tourmenté de manière fâcheuse. À cela s’ajoutait que le climat d’Alexandrie était très désagréable, surtout pour les malades; considérant cela, je désirais vivement régler mes affaires et m’en aller le plus vite possible; et il y avait là par hasard un navire de Raguse qui se rendait à Messine, une métropole de la Sicile, et qui, par chance (puisque je désirais faire voile là-bas), était déjà prêt à partir, n’attendant plus que le vent! Le 31 janvier, pour négocier le prix du transport, je voulus aller voir le capitaine; il ne m’écouta qu’à contrecœur, d’une part parce que j’étais arrivé assez tard, d’autre part parce qu’il voulait déjà appareiller. Je me hâte donc de rentrer chez moi (bien que nous n’ayons pas encore vraiment convenu du prix), je vends rapidement ma caisse, je me prépare au plus vite au départ, et je me dirige vers le navire, avec l’aide de mes compagnons. Mais voici que, lorsque j’arrivai au port, il avait déjà mis les voiles et était parti. J’étais donc très inquiet, comme il se doit, parce que j’avais manqué cette occasion de partir et parce qu’attendre d’autres navires (à destination de Venise) comportait un risque, en raison de mon mauvais état de santé. Mais voici que cette nuit-là, ô prodige!, un vent qui leur était contraire se lève, et les contraint à regagner le lendemain le port d’Alexandrie. En apprenant la nouvelle, je me réjouis, car il semblait que Dieu voulait que je m’en aille sur ce navire même. Je payai aussitôt deux couronnes pour la course et, après avoir réglé toutes mes affaires, je me rendis sur le navire; nous attendîmes cependant quelques jours sur le port que le vent soit favorable; j’y laissai mes quatre compagnons, parce qu’ils avaient davantage envie de faire voile vers Venise.
Le terme aedes Annae désigne probablement la maison du grand prêtre Anne; celle-ci appartient aux chrétiens arméniens (monastère des Saints Archanges; voir à ce sujet D. Pringle, The Churches of the Crusader Kingdom of Jerusalem. A Corpus, vol. 3, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, n° 296, p. 112-117. Nous n’avons rien pu apprendre sur l’hébergement de pèlerins latins dans ce monastère; même chez Röhricht (1900), p. 66, n. 238, von Meggen est la seule preuve d’un tel hébergement de pèlerins dans ce monastère. On peut toutefois exclure qu’il s’agisse ici plutôt de «la maison/l’église d’Anne». La célèbre église Sainte-Anne, située près de la porte des Lions et de l’étang de Bethesda, était une école coranique depuis 1192 et ne fut cédée à Napoléon III et donc à l’État français qu’en 1856, dans un état de ruine, après avoir longtemps servi d’écurie (pour l’histoire et l’archéologie de l’église Sainte-Anne, voir D. Pringle, The Churches of the Crusader Kingdom of Jerusalem. A Corpus, vol. 3, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, n° 305, p. 142-156; histoire à partir de la réislamisation de Jérusalem au XIIIe siècle: p. 143-147). La petite église monastique grecque orthodoxe Sainte-Anne, traitée ibid., n° 306, 156-157, n’est absolument pas pertinente dans notre contexte. En outre, on remarque que Meggen ne parle que d’aedes Annae, et non d’aedes Sanctae Annae ou d’autres choses de ce genre; cela parle clairement contre Sainte-Anne.
Le samedi, veille du dimanche, était encore à l’époque un jour de jeûne, durant lequel on ne devait en principe pas manger de viande. Le contrat passé entre les pèlerins et le capitaine du bateau stipulait que la nourriture devait être adaptée aux différents jours (cf. Peregrinatio, 30: viande les jours où l’on mange de la viande, poisson les jours où l’on mange du poisson); cela n’était apparemment plus possible dans cette situation.
Jost von Meggen fait ici référence à la fête de la rupture du jeûne (fête du sucre) après le ramadan, ce qui explique son association avec la fête de Pâques qui suit le jeûne du carême (p. 215, il désigne explicitement la fête du sucre comme une Pâque).