Avis au lecteur et élégie sur la bibliothèque de Berne

Übersetzung (Französisch)

Übersetzung: David Amherdt/Kevin Bovier (notes originales en allemand: Clemens Schlip)


Épître dédicatoire (fol. 44vo-45vo)

Johannes Rhellicanus de Zurich souhaite à son lecteur chrétien le salut et une conscience tranquille grâce à Jésus-Christ.

Quelles sont les circonstances qui ont poussé Kaspar Megander à publier ses commentaires sur Paul, lecteur chrétien, sa lettre d’introduction l’expose clairement. Et il ne vaut pas la peine que je te les recommande longuement ici, en partie parce que, comme l’auteur (même s’il faudrait à juste titre le recommander pour son admirable efficacité et son soin à traiter des Saintes Écritures et à enseigner son sens véritable) est à la fois mon compatriote et mon ami, il est préférable que je m’abstienne de le recommander, pour qu’on ne vienne pas me chanter cet adage rebattu: «Les mules se grattent l’une l’autre». Je laisse donc cela de côté pour en venir à ce que je veux dire; en voici la teneur: puisque l’étude des belles-lettres est presque partout engourdie et que la plupart des gens en imputent la faute à l’Évangile, j’ai décidé de te décrire par le menu l’organisation de nos études à Berne, non pas pour nous faire connaître du monde entier grâce à elle, mais d’une part pour inciter les autres, par notre exemple, à adopter une organisation semblable ou meilleure, et d’autre part pour laver, dans la mesure de nos capacités, l’affront fait à l’Évangile. L’école élémentaire est organisée de la manière suivante: les élèves débutants sont dirigés par trois hommes recrutés avec des salaires honorables; leurs noms sont Johannes Endsberg, ou si tu préfères, en grec, Telorus, maître d’école, un jeune homme qui sait les trois langues; Peter Huber, assez versé dans les deux langues, est son sous-maître. Ils enseignent aux garçons les rudiments des trois langues, avec un troisième maître qui ne leur transmet que les premiers éléments de la langue latine. En outre, ceux qui sont bien avancés dans leurs études suivent les cours suivants, donnés par Kaspar Megander et moi-même: avant le repas de midi, l’Ancien Testament, à l’imitation de l’école de théologie de Zurich (même si nous la suivons de loin et admirons toujours ses traces), c’est-à-dire en lisant la traduction latine en premier. Ensuite, on lit le texte de la Septante: c’est ma part du travail. En troisième lieu, le texte hébreu authentique est expliqué grammaticalement par Megander, c’est-à-dire selon le sens originel, de manière à indiquer d’abord ce qui est conforme ou non à ce sens dans les traductions latine et grecque. Enfin, après avoir également lu la traduction allemande, il montre le but et le contenu du passage lu et enseigne comment traiter chaque élément en chaire. Après le repas de midi, j’explique seul le petit livre d’Érasme De utraque copia et les Histoires de Salluste, en alternant les deux dans mes cours, et en abordant brièvement les rudiments de la dialectique et de la rhétorique. Vers trois heures, je fais cours, seul également, sur le Nouveau Testament dans la langue dans laquelle il a été écrit, remplissant d’abord l’office du grammairien, puis celui du théologien, dans la mesure de mes faibles capacités dans cette dernière science. Par ailleurs, afin que les cours mentionnés auparavant ne soient pas donnés en vain, mais qu’on voie clairement quel fruit chacun en retire, il a été décidé lors du dernier synode, d’après l’avis commun de Wolfgang Capiton, un homme à tous points de vue très savant et très pieux, et de ceux qui président à la parole de Dieu, que nous descendrions tous les mardis dans l’arène (quand les prêtres de la campagne peuvent aussi être présent en raison du marché) et que nous traiterions l’un ou l’autre des passages difficiles de l’Écriture qui nous sont présentés. L’expérience montre chaque jour combien cet exercice est profitable pour les mœurs et la formation de la langue en ces temps difficiles. La plupart de nos élèves sont ainsi bien mieux formés pour réfuter les papistes et les anabaptistes. Voilà donc pour le moment, lecteur chrétien, ce que j’ai jugé bon de te faire savoir; pour l’instant, il te revient d’utiliser les annotations de Megander et d’accueillir ma modeste contribution, quelle qu’en soit la valeur (c’est pour promouvoir l’Évangile et les belles-lettres que je l’ai entreprise), dans l’esprit dans lequel je l’ai entreprise, c’est-à-dire avec sincérité et honnêteté. Toi, si tu connais quelque chose de mieux que ces annotations, dis-le franchement (comme le dit Horace à son ami Numitius); sinon, fais-en usage avec moi. Car si nous t’éprouvons en tant que juge honnête de ces travaux de nuit, nous te communiquerons aussi à l’avenir ce que le même Megander a écrit avec un talent admirable sur l’épître de Paul aux Éphésiens. Adieu.

 

Élégie du même Rhellicanus sur la bibliothèque de Berne qui dispose de toutes sortes de livres en abondance (fol. 46ro-47vo)

De même que la tritonienne Pallas a vaincu Mars,

Lorsqu’elle est venue en aide aux Grecs,

De même à notre époque la troupe de Mars est chassée

Du territoire bernois à l’aide de cette Pallas.

Et de fait, la véritable Minerve, sagesse du Père suprême,

5

Vient de t’être rendue, Berne bienheureuse.

Car la parole de Dieu et les oracles du Père sublime

Font désormais briller de leur lumière les esprits des hommes.

Pallas met en fuite tout ce qui est barbare; les guerres sanglantes

Qui ont été entreprises pour de l’argent, elle a coutume de les mettre en fuite.

10

Et c’est ainsi que se produisit l’événement que le fameux prophète

Isaïe avait autrefois prophétisé:

Avec les glaives sera forgé un soc recourbé

Et désormais la lance aura la forme d’une faux.

Et de fait, à la place des javelots, des bombardes et des catapultes,

15

Voici une bibliothèque bien fournie et déjà prête.

Elle est chargée de livres, et pas de livres ordinaires, mais

De ceux que vantent les Grecs, les Juifs ainsi que les Latins.

Ici on a besoin d’armes qui servent dans le camp

De la véritable Minerve; c’est grâce à elles que l’ennemi barbare succombe.

20

Mais les armes étincelantes ne sont d’aucune utilité

Si on ne sait pas les manier correctement.

Berne, de même, ne pense pas qu’il soit utile d’acheter d’illustres

Volumes si c’est pour qu’ils deviennent la nourriture des blattes.

Non, elle engage des savants à grands frais; en plus,

25

Elle a coutume de soutenir de nombreux élèves.

Car, si cela n’était pas le cas, la Pallas païenne se retrouverait

Méprisée, et alors même la sainte Pallas ne serait pas à l’honneur.

Et s’il n’y avait pas de dignes récompenses pour ceux qui se vouent aux études

Peu à peu les royaumes barbares reviendraient aussi.

30

Et avec quelle peine Minerve supporte ces royaumes barbares,

Chacun peut s’en instruire d’après les siècles passés.

Car, alors que les Goths et les Huns dévastent tout à Rome,

La barbarie s’empare totalement des royaumes latins.

Et elle ne s’empare pas seulement de Rome, mais parcourt aussi

35

Les royaumes grecs, et les tribus hébraïques, elle ne les laisse pas non plus en paix.

Il n’y a aucun art qu’elle n’ait souillé,

Qu’il soit profane ou sacré.

Ainsi s’accomplit ce dont le Seigneur avait menacé les juifs

Auparavant: notre intelligence a été réprouvée.

40

Et de fait nous avons tenu pour mauvais ce qui est juste, et, dans la claire

Lumière, tout homme tâtonnait comme un aveugle.

Ainsi tout ce que décidèrent les papes avait plus de

Valeur que ce que le Christ, qui était homme et Dieu, avait décidé.

Mais, voilà qu’enfin le Seigneur a pitié de notre faiblesse:

45

La langue latine, la première, revient, raffinée, élégante.

Ensuite la langue grecque relève la tête et les rudiments

De l’hébreu sont enseignés, puis la sainte Bible.

C’est ainsi que des volumes en diverses langues furent rassemblés,

Et que déjà les arts relevaient leur tête rayonnante.

50

Puis, peu à peu, la tyrannie romaine des papes

S’effondra, car déjà le Seigneur frappait la bête.

Bientôt jaillit et resplendit la flamme d’un feu assoupi,

Qui réchauffe et ranime les cœurs affaiblis des hommes,

Afin que plus personne ne puisse être détourné, à moins

55

De vouloir volontairement demeurer dans les ténèbres.

Que tout homme pieux aspire tout d’abord à dûment

Rendre grâce au Seigneur pour ces dons;

Puis la cohorte savante, le présent et les siècles à venir

Donneront aussi au médiateur les récompenses qu’il mérite.

60

Car le médiateur était le sage et saint Conseil,

Sous les auspices duquel la bibliothèque a été érigée.

C’est à Noll qu’avait été confiée cette tâche qui convient à un lettré:

C’est lui qui prit soin d’acquérir les livres et de trouver le lieu;

Cet homme, intéressé aux lettres et lui-même lettré, assuma

65

Cette charge avec zèle, et la mena à bien rapidement;

Or la jeunesse lui apportera de dignes récompenses, pour peu qu’elle se montre reconnaissante

Pour ses services et qu’elle se consacre aux études.

C’est ce qui arrivera si Dieu et le Seigneur, qui fit tout ce qui est bon,

Sont honorés avec droiture, s’ils sont aimés éternellement.

70

De même qu’honorer uniquement le Seigneur est le fondement

De la sagesse, de même il est possible que tu deviennes savant.

Ainsi tu seras savant et tu instruiras les autres avec amour;

Ce n’est pas pour toi que tu es né, ce n’est pas pour toi que tu seras savant.

Mais si tu négliges le Seigneur, tu ne seras pas savant,

75

T’attribuant à toi ce qui revenait de plein droit au Seigneur.

Et ta science ne profitera pas aux autres, mais elle sera un obstacle,

Et sera pernicieuse pour toi et pour les autres.